Le défi de la pré-collecte des déchets à Ratoma

22 avril 2021

Des déchets déversés par les ménages à une intersection de Ratoma. Crédit Photo_AccLabGn

La gestion des déchets à Conakry est depuis des décennies un défi urbain, sanitaire et environnemental pour les autorités nationales, locales et les populations. Les poubelles remplies sur les grandes artères, les ordures entassées dans les quartiers et les canalisations bouchées font partie du paysage urbain de la capitale guinéenne. Au-delà de l’aspect non esthétique de cette situation, ce sont les conséquences sur la santé, l’environnement et l’aménagement urbain qui sont les plus préoccupantes. Pourtant, plusieurs projets financés par des bailleurs internationaux ont été et continuent d’être menés pour essayer de régler la question. Après l’éboulement de la décharge de Dar es Salam faisant une dizaine de morts, l’Etat a mis en place une Agence Nationale de la Salubrité Publique afin de rationaliser la gestion de la décharge publique.

Des poubelles de fortune devant des ménages dans commune de Ratoma. Crédit Photo_AccLabGn

L’importance du sujet a amené l’Accelerator Lab de la Guinée à faire de lui son principal défi frontière. Ainsi, durant les 100 premiers nous avons exploré l’ensemble du système de gestion des déchets pour identifier les signaux faibles qui pourraient expliquer la situation. Dans une dynamique méthodologique, nous avons considéré plusieurs segments pour définir les liens entre les processus et les acteurs afin de ressortir les gaps structurels. Dans cet exercice, tout en analysant l’écosystème global de la gestion des déchets dans la ville de Conakry, la commune de Ratoma, la plus peuplée de la capitale a été notre principal lieu d’investigation, Dans ce blog, nous expliquons comment nous avons découvert que la mise en œuvre d’un système durable de gestion des déchets dépend en grande partie d’un modèle de génération pérenne de ressources et que cette génération de ressources dépend du niveau des abonnements des ménages, premiers producteurs des déchets.

Ce que nous avons fait.   

1-    Collecte et analyse des données

·       Les données du CO : Dans le cadre d’un projet Capstone le PNUD Guinée en partenariat avec l’Université de Colombia a effectué une étude portant sur le système de gestion des déchets et les modèles économiques innovants possibles.

·       Les données nationales : Elles résultent notamment de l’ANASP et de l’Institut National des Statistiques

·       Les données primaires : Nous avons procédé à une double enquête terrain et en ligne.

Il ressort de la collecte et de l’analyse des données que la production de déchets par personne dans la ville de Conakry se situe entre 0.4 et 0.75kg. Considérant selon l’INS que nombre de personnes par ménage à Conakry est de 5,1 en moyenne, il en résulte que chaque ménage produit entre 2,04 et 3,82 kg de déchets par jour. Afin de vérifier la pertinence de ces tendances nous avons mené une enquête auprès de 200 ménages répartis dans l’ensemble de la ville de Conakry. Les tendances se sont confirmées : 50,3% des ménages affirment produire autour de 2kg par jour pendant 65% des ménages sont composés de 5 personnes. On note aussi que 74% des ménages ne voient leurs déchets collectés que 2 fois par semaine, et que moins de la moitié des ménages (40%) affirme être abonnée auprès d’une PME de pré-collecte homologuée par la commune. 65% des répondants sont de la commune de Ratoma, la plus peuplée de la ville.

Vue générale des interactions dans le système de gestion des déchets. Par Accélérator Lab

On distingue trois grands niveaux de l’écosystème :

Un macro level : le principal acteur est le Ministère en charge de l’Assainissement, il s’occupe notamment de la régulation et des grands partenariats.

Un meso level : C’est un niveau opérationnel dont les acteurs principaux sont l’ANASP et la société Albayrak. Le premier a la charge de la gestion des infrastructures et le deuxième en charge de la collecte et du transfert jusqu’à la décharge publique.

Un micro level : C’est le segment le plus crucial dans l’écosystème, en ce qu’il concerne les acteurs premiers : la commune, les ménages, et les PME de pré-collecte. C’est de cette échelle que dépend la salubrité urbaine. Aussi, le micro- level est le point d’encrage des flux financiers dans le système en ce qu’il touche le cout du service et le paiement des usagers.

L’exploration de l’écosystème nous a permis de tirer trois principales leçons :

·      Au niveau macro et méso, le système fonctionne relativement bien

·      Les opérations de pré-collecte sont irrégulières,

·      Le taux d’abonnement des ménages est très faible

C’est pourquoi, et à la lumière du croisement des données récoltées nous avons orienté notre action vers la commune de Ratoma.

1-    Rencontre avec les parties prenantes à Ratoma : Pourquoi Ratoma ?

La commune de Ratoma avec plus de 650 000 hbts selon le dernier recensement de la population (2014) abrite près du tiers de la population et le tiers des ménages de la Conakry. Elle abrite la décharge publique et cinq zones de tri et traitement. Elle se trouve à équidistance des autres communes de la Capitale.

Sur le plan économique et social, la commune est habitée par toutes les classes sociales et toutes les couches démographiques et ethniques à des proportions représentatives.

Durant les 100 premiers jours de notre cycle d’apprentissage nous avons avec le service en charge de l’assainissement de la municipalité mené une enquête sur le service de pré-collecte des déchets auprès des ménages. Il en ressort que seulement 25% des ménages sont abonnées à une PME homologuée par la Commune. La pré-collecte auprès des autres ménages est aléatoire ou inexistante. Dans de nombreux cas, les déchets des ménages sont simplement jetés dans la rue. Ce constat permet d’identifier le signal faible principal : l’irrégularité du service de pré-collecte est la conséquence du faible taux d’abonnement. Il s’agit d’un problème systémique, d’autant plus que le système a du mal à s’autofinancer et que des gaps existent entre les budgets alloués au titre des subventions et les besoins opérationnels. Ainsi, le budget de l’ANASP, de 185 000 USD couvre à peine les charges de salaires et de fonctionnement, pendant que le transfert de compétences aux communes n’a pas donné lieu au transfert des ressources par l’Etat central.

Ce que nous avons appris : Une courbe pour illustrer les relations entre la qualité du service, le niveau de pré collecte et les abonnements

Par AccLabGn

On déduit de l’analyse de cette courbe que le niveau de salubrité dépend du niveau d’abonnement des ménages au service de pré-collecte auprès des PME homologuées par la commune. En filigrane de cette simulation se pose le problème plus large de ressources. Il existe un réel gap financier entre les besoins des communes et des PME et les ressources collectées. En conséquence, la pré-collecte est aléatoire. De façon générale, et selon la base statistique de production des déchets par les ménages on considère qu’entre 22 et 46% des déchets sont déversés dans la rue. En raison de la faiblesse des ressources des PME de pré collecte due à une faiblesse du niveau d’abonnements, la collecte est irrégulière et s’établit à 2 fois en moyenne par semaine.

Dans ce contexte, la question principale qui se pose est de savoir comment inciter les ménages à s’abonner auprès des PME de pré-collecte. Cette problématique appelle une autre sous-jacente : le coût des abonnements et le mode de paiement.

C’est à ces gaps que le Lab s’intéressera les prochains mois dans la commune de Ratoma.

Ce que nous allons faire

1.    Une session d’intelligence collective réunissant l’ensemble des acteurs : communautés, municipalités, PMEs de pré-collecte, ONG et leaders de la société civile pour observer davantage le système et tirer les leçons pertinentes

2.    L’étude d’un d’un coût d’abonnement optimal : En usant du community assets mapping et du crowdsourcing, nous envisagerons avec la municipalité de Ratoma la définition d’un coût d’abonnement optimal pour les ménages.

3.    L’innovation dans les modalités et les modes de paiement : dans un pays où le salaire minimum est de 44 dollars, et où l’économie est largement informelle, la question des modalités et des modes de paiements est cruciale quand on aborde les gaps systémiques. Nous envisageons de tester des méthodes nouvelles alliant technologie et analyse des comportements d’achats afin de dégager des modes et des modalités de paiements adéquats, innovants et inclusifs.

Nos remerciements aux équipes de la municipalité de Ratoma et aux différents chefs de quartiers rencontrés.
Si vous avez des suggestions, des observations ou des informations qui vous paraissent utiles, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse
Acclab.gn@undp.org