De l’université à l’ombre d’un manguier, l’initiative « Be In » réinvente la recherche de sens

31 mai 2021

Entrée de la Ville de Kankan

Par Lamarane Barry, Head of Experimentation

C’est à Kankan, à 640 km de la capitale Conakry que l’Accelerator Lab du PNUD a lancé la première étape de son initiative nationale « Be In » (Be Involved-Bénévoles pour l’Innovation). Dans ce blog, nous vous faisons découvrir une nouvelle approche vers la recherche de sens pour l’innovation sociale autour de deux symboles de la ville, l’université et le manguier impliquant deux types d’acteurs, des étudiants et des militants de la société civile.

Cahier ayant servi pour les exercices de sense making à l’université et des manguiers chargés de sens dans le contexte de Kankan (AccLab)

Au cœur de la savane guinéenne, à 640 km de Conakry et à une parfaite équidistance de Bamako au Mali et d’Odienné en Côte d’Ivoire, se dresse le plateau de Kankan « Nabaya »[1], deuxième ville de la Guinée. Elle est le siège de l’université Julius Nyereré, du nom du premier Président Tanzanien et ses 11700 étudiants répartis en cinq facultés. Dans cette cité où à midi le thermomètre affiche 37°C, le visiteur remarque immédiatement une autre attraction : l’omniprésence des…manguiers. Ces arbres constituent un véritable patrimoine urbain. On les voit le long des routes principales et secondaires, dans les cours des écoles et de l’université et surtout dans les concessions. C’est dans cette ville traversée par le Milo[2] fortement menacé, que nous avons effectué la première étape des huit que compte l’initiative Bénévoles pour l’Innovation de l’Accelerator Lab du PNUD.

Be In : Qu’est-ce que c’est ?

L’Innovation sociale suppose un ancrage dans les communautés et les acteurs locaux. La recherche de sens par l’exploration systémique et la mise en œuvre de l’intelligence collective pour répertorier les solutions locales et identifier les gaps afin de tirer les leçons d’apprentissage implique la mobilisation non seulement des outils et des méthodes divers mais aussi des acteurs de différents horizons ayant une forte connexion avec les communautés.

Ainsi, dans son principe, l’initiative Be In vise à établir le plus large réseau national dédié à l’innovation sociale avec pour partenaires clés les milieux scientifiques (universités) et les organisations de la société civile et comme acteurs principaux les étudiants et les militants des OSC engagées dans le développement communautaire.
Les objectifs poursuivis sont principalement les suivants :

-       Mettre à la disposition du PNUD et de ses interventions un vivier de bénévoles engagés dans le développement durable, disponibles, compétents et proches des réalités des populations. 

-       Expérimenter une nouvelle approche dans la génération de données (crowdsourcing et raw data) pour mieux orienter l’identification des projets ;

-       Faciliter l’appropriation locale des nouvelles méthodes d’innovation pour le développement introduites par le PNUD à travers le réseau des Accelerator Labs ;

-       Créer un levier d’accélération de l’apprentissage sur les défis du développement et d’innovation sociale au service des politiques publiques

-       Avoir à l’échelle nationale et de façon actualisée les tendances systémiques sur les différents défis du développement durable pour mieux structurer la recherche du sens et l’exploration.

Et plus généralement, établir une chaîne nationale d’innovation sociale par le biais d’une interconnexion via une plateforme digitale d’interaction des bénévoles.

[1] Littéralement « terre d’accueil », Nabaya traduit l’idée d’hospitalité des populations locales

[1] Cours d’eau, affluent du fleuve Niger d’une longueur de 330Km qui traverse la ville de Kankan. Le Milo à l’instar de beaucoup d’autres cours d’eau en Guinée est fortement menacé depuis quelques années.

« Be In signifie littéralement « sois dedans ». Le sens porté est celui de « engage toi ». C’est une initiative du Laboratoire d’Accélération du PNUD Guinée pour réaliser un maillage territorial exhaustif par l’installation de relais locaux afin que l’appropriation de l’innovation sociale comme canal d’apprentissage et d’accélération soit une réalité systémique et structurelle »

 

L’Innovation sociale, la recherche du sens et l’intelligence collective expliquées à Kankan

En face des étudiants, des militants de la société civile et des populations rencontrées à divers endroits de la ville de Kankan, nous avons expliqué que l’innovation sociale consiste à développer de nouvelles façons d’aborder les problématiques de la vie commune de tous les jours, en partant du postulat qu’un défi donné implique plusieurs connexions et plusieurs acteurs directement et indirectement.  Pour ce faire, nous appliquons des méthodes comme la recherche de sens et l’intelligence collective. A un monsieur qui a eu la gentillesse de nous recevoir dans sa cour, nous avons expliqué que la recherche de sens suppose d’explorer au-delà des évidences premières, d’explorer un environnement plus largement afin d’avoir une vue à la fois large et détaillée d’un sujet. Et que dans ce sens, l’intelligence collective est un procédé par lequel on invite une diversité d’acteurs pour que les différentes intelligences créent une dynamique d’intelligence d’ensemble.

Certains militants de la société civile ont posé la question suivante : Pourquoi des nouvelles approches ? Notre réponse : Parce que les défis du développement durables connaissent des mutations rapides qui les complexifient. Et nous avons utilisé l’image suivante qui est pertinente pour le contexte de Kankan : lorsque vous avez l’habitude de chasser dans un lieu, que les animaux commencent à se déplacer, à mieux se cacher où dans certains cas à vous affronter, utiliseriez-vous votre même façon de chasser ?

Pourquoi Kankan comme première étape de notre initiative ?

La ville de Kankan résume les défis de développement et leurs complexités en Guinée. Traversée par le Milo qui tend à tarir, assaillie par une hausse régulière de température et défigurée par des agressions du sol et l’intensification du déboisement, la ville est au centre des enjeux climatiques. Elle est la capitale de la plus grande région administrative du pays en dehors de Conakry. Kankan, c’est aussi un grand carrefour économique et commercial à équidistance du Mali et de la Côte d’Ivoire, au cœur des zones aurifères de Guinée, autour desquelles se développent de nombreuses activités transfrontalières informelles. Sur le plan socio-politique, Kankan est régulièrement le théâtre de tensions ethno-politiques. Enfin, son université est la deuxième plus peuplée du pays après celle de Sonfonia. Bref, pour un laboratoire comme le nôtre, Kankan est un cas d’étude objectif.  

Scènes de vie à Kankan 

Un « grin »[1]: Le grin est une sorte de « club de retrouvailles » : Les jeunes se retrouvent généralement sous un arbre, ou dans une cour à la fin de la matinée pour partager le thé et discuter de sujets divers comme la vie sociale, les études, le chômage, le football, la politique du pays, les faits divers d’actualité.

Le Head of Expérimentation Mamadou Lamarane Barry,

sur un site de fabrication de Brique en terre Stabilisée.

Fours artisanaux sur un site de fabrication de brique en terre cuite

Une réunion dans une cour avec des militants de la société civile

[1] Le grin est une sorte de « club de retrouvailles » : Les jeunes se retrouvent généralement sous un arbre, ou dans une cour à la fin de la matinée pour partager le thé et discuter de sujets divers comme la vie sociale, les études, le chômage, le football, la politique du pays, les faits divers d’actualité. 

Ce que nous avons fait avec les étudiants et pourquoi

Avec l’appui de l’université, quinze bénévoles parmi les étudiants les plus brillants et présentant des signes d’engagement social ont bénéficié d’un atelier sur les protocoles et les méthodes d’innovation sociale introduits par le réseau des Laboratoires d’Accélération. A cette occasion, des exercices de recherche de sens et d’exploration ont été effectués par groupe de cinq sur les défis de la ville comme la question du logement des étudiants, les accidents de la circulation et les agressions sexuelles sur mineures.

L’engagement, la rapidité et l’exhaustivité avec lesquels les participants ont mis en œuvre des méthodes comme l’intelligence collective, la cartographie des acteurs, l’identification des éléments moteurs et la définition des futurs possibles révèlent une bonne compréhension de la logique des cycles d’apprentissage et de la constitution de portefeuille de solutions portée par les Labs. De sorte à inculquer une dynamique d’accélération dans l’approche des défis du développement. 

Séances de sense making avec les étudiants et extraits d’exercices (AccLab)

Des exercices pratiques de recherche de sens et d’exploration ont été effectués par groupe de cinq sur les défis de la ville comme la question du logement des étudiants

A la recherche de sens en explorant la symbolique du manguier

Avec la société civile à l’ombre d’un manguier

Dans la perspective d’insuffler au réseau Be In une large dynamique d’intelligence collective, une session de recherche du sens et d’apprentissage à l’exploration a été tenue avec des jeunes militants de la société civile réunis dans un mouvement dénommé « Caravane pour le pardon ». Cette organisation a pour leitmotiv principal la mise en œuvre d’initiatives citoyennes en faveur de la cohésion sociale et pour la résolution des conflits communautaires. Kankan est en effet, une cité qui enregistre de fortes tensions sociales débouchant régulièrement sur des pertes en vies humaines lors des périodes électorales.

La particularité de cette rencontre est son lieu : sous un manguier, dans une cour. L’exercice de recherche de sens a permis de mettre en relief les caractères à la fois symboliques et scientifiques du manguier pour les populations de Kankan. Au-delà d’un arbre, le manguier représente toute une mécanique sociologique, culturelle et philosophique, de laquelle on peut tirer les leçons d’apprentissage suivantes :

-       Des racines comme preuve d’attachement à la terre : Planter un manguier dans sa concession est un réflexe naturel à Kankan. Une fois établi, l’arbre rappelle un marquage, une appropriation du lieu par les propriétaires et un fort attachement à la terre de la cité. Dans certains cas, le manguier sert de moyen de délimitation des concessions du voisinage immédiat. C’est donc à la fois un symbole de revendication et un moyen d’organisation foncière.

-        Le tronc, un parcours, un remède et un outil pour le savoir : Le manguier prend du temps pour dresser son tronc. Dans l’imaginaire des peuples de Kankan, c’est un enseignement à la patience et le symbole d’un parcours initiatique aux étapes de la vie de l’être humain. Comme le tronc du manguier, il faut d’abord avoir un ancrage, puis grandir progressivement. Une fois dressé, le tronc du manguier, comme l’être humain peut servir sa communauté. Il devient un remède parce l’écorce a, selon les croyances des populations des vertus médicinales à l’image de l’acacia dans d’autres sociétés africaines. C’est enfin un outil d’acquisition du savoir. Nous avons découvert avec les inputs des jeunes de « la caravane pour le pardon » que l’écorce du manguier sert de matière première pour la fabrication de l’encre.

-       Des fruits pour s’alimenter : la mangue que produit l’arbre se consomme sous diverses formes. Comme dessert en premier lieu, en sa qualité de fruit. Mais aussi comme ingrédient pour la cuisine. C’est pourquoi il est courant de voir en Guinée « la sauce mangue ». La période des mangues s’étale de Mars à Juillet et la Guinée est l’un des plus grands producteurs de mangue de la sous-région.

-       Une ombre pour héberger et pour délibérer : A certains égards, l’ombre du manguier est la traduction pratique de la philosophie du « Nabaya ». A Kankan, on reçoit l’étranger beaucoup plus sous l’ombre du manguier que dans un salon. Cela peut s’expliquer en partie par les hautes températures en saison sèche. Mais pas seulement. L’ombre représente une sorte de gage d’égalité, de respect et d’ouverture vis-à-vis de l’autre. Plus encore, l’ombre du manguier est le lieu privilégié pour les assemblées délibérantes sur les affaires familiales et sociales. Cela rappelle l’assemblée du baobab. Les participants s’installent autour de l’arbre dans les limites de son ombre, comme pour chercher une sorte de protection et donner un sens sacré à la réunion.

Quelles sont les prochaines étapes ?

« Be In » est une initiative nationale qui couvre les sept régions administratives de la Guinée et la capitale Conakry. A ce titre, la dynamique entamée à Kankan sera poursuivie dans chacune des capitales régionales dans l’ordre suivant : N’zérékoré, Faranah, Labé, Mamou, Kindia et Boké.

L’un des enseignements majeurs tirés de l’étape de Kankan est que dans l’exercice de l’innovation sociale, la prise en compte de l’ethnographie, au sens d’exploration des cultures, des modes de pensées et des dynamiques sociologiques des peuples, est primordiale. L’influence de la symbolique du manguier, et plus généralement l’environnement de la savane sur la structuration de la pensée et sur les réflexes des populations de Kankan en est l’illustration.

Ainsi, il va de soi que l’approche à l’étape de N’zérékoré, qui est une ville en région forestière sera différente. La recherche de sens et l’exploration systémique dépendront probablement d’autres types de facteurs même si elles peuvent appeler le même type d’approche des données.

Nos remerciements au Prof Selly Camara, Conseiller en charge de l’Innovation au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, au Préfet de la Région de Kankan, à Dr Somparé, Recteur de l’Université Julius Nyereré de Kankan, à Augustin Fara Tolno, coordonnateur national du mouvement « caravane du pardon » et aux quinze étudiants et quinze militants de la société civile pour leur mobilisation et leur engagement durant ces longues journées consacrées à explorer de nouveaux sentiers pour comprendre les éléments moteurs des défis et apprendre des communautés.

Si notre initiative « Be In », la démarche vers les étudiants et/ou la symbolique du manguier vous interpelle, vos contributions sont souhaitées à Acclab.gn@undp.org