Un coup de projecteur sur les collecteurs informels des déchets solides en Haïti : des acteurs clés, mais négligés

Par Mickens Mathieu, Responsable d’exploration AccLab PNUD Haïti

1 mars 2022

Un collecteur informel à Saint Fort Saint Michel, Cap-Haitien. Photo: PNUD Haïti/Mathieu Fritzner

Au regard de la loi du 21 septembre 2017[1], le Service National de Gestion des Résidus Solides (SNGRS) partage avec les Collectivités Territoriales (Mairie, CASEC, ASEC) la mission de collecter, de trier et de transformer les déchets solides sur toute l’étendue du territoire national. Cependant, ces organismes étatiques ne disposent pas les ressources humaines, matérielles et financières suffisantes pour remplir leur mission. Dans les quartiers populaires généralement habités par des ménages à faibles revenus, leur présence se fait à peine sentir. Alors, il est pertinent de se demander comment arrive-t-on à gérer et à se débarrasser des déchets solides dans les aires non couvertes par le SNGRS et les municipalités ? Autrement dit, qui est-ce qui joue leur rôle ou effectue le travail qu’ils sont censés faire dans ces espaces ? Et dans quelles conditions ?

Dans les aires urbaines non couvertes par les SNGRS et les municipalités, le service de ramassage d’ordures est fortement assuré par des collecteurs informels offrant un service à faible coût et accessible à une large proportion des ménages et des entreprises formelles et informelles. Ils occupent par ce fait une place de plus en plus importante dans la communauté des acteurs du système de collecte, traitement et valorisation des déchets solides en Haïti.

Cependant, les contributions des collecteurs informels dans l’amélioration du cadre de vie, la protection de l’environnement et la réduction du chômage ne sont pas toujours reconnues et valorisées à leur juste titre. Au contraire, ces collecteurs constituent un groupe d’acteurs subissant fortement les conséquences néfastes de la pauvreté, les préjugés, la discrimination et l’exclusion sociale.

Le Laboratoire d’Accélération d’Innovation du PNUD Haïti souhaite mettre en lumière le travail combien important de ces vaillants travailleurs dans l’espoir d’encourager les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux à les soutenir, à améliorer leur positionnement et à provoquer un changement de regard de la société sur leur contribution dans le système de gestion des déchets solides en Haïti.

Dans cette perspective, le laboratoire a déjà réalisé un travail de cartographie des solutions dans les départements du Nord et du Nord-Est d’Haïti au cours du mois de novembre 2021. Ce travail de terrain a permis de rencontrer et d’échanger, entre autres, avec des collecteurs informels de déchets solides travaillant de manière collective ou individuelle dans les aires urbaines des dits départements. Ces échanges ont permis de mieux comprendre leurs activités, leurs objectifs, leurs contributions, leurs contraintes et leurs opportunités. Les informations collectées ont permis également de mieux comprendre les appuis potentiels à mettre en œuvre en vue de renforcer leur travail dans les départements du Nord et du Nord-Est et possiblement dans tout le pays.

Comprendre l'utilité de ces acteurs polyvalents : de la collecte directe dans les ménages à l’achat, le stockage et la revente en gros

Il est très difficile de dresser avec exactitude le profil des collecteurs informels de déchets solides, compte tenu de la diversité de leurs activités, leurs espaces et leurs modèles d’intervention, y compris de leurs objectifs, leurs niveaux de performance et leurs relations avec les producteurs et les entreprises de valorisation de déchets.

En ce qui concerne leurs activités principales, on rencontre la pré-collecte ou la collecte directe auprès des producteurs de déchets valorisables et non-valorisables, tels que les ménages, les institutions, les entreprises (restaurants, hôtels), les marchés publics, entre autres. De cette manière, les initiatives des collecteurs informels jouent un rôle de relais entre les producteurs et les espaces de déversement intermédiaires ou finals, contrôlés ou non contrôlés par les municipalités.

Les activités des collecteurs informels comprennent également la récupération ou l’achat des déchets valorisables (objets défectueux susceptibles d’être recyclés, réparés ou réutilisés) au sein des ménages, dans les rues, les marchés publics et les sites de décharges. En lien directe avec cette dernière activité on rencontre les collecteurs grossistes qui disposent de petits réseaux de collecteurs (individuels ou de groupe) qui les approvisionnent en déchets valorisables, notamment les déchets plastiques, métalliques, et organiques, en contrepartie de rémunération sur la base du volume acheté. Il existe d’autres catégories de collecteurs informels dans les zones urbaines haïtiennes, mais elles ne sont pas prises en compte dans le cadre de la présente description. Le modèle d’organisation mis en place par les collecteurs grossistes se trouvent à un niveau très rudimentaire, bien qu’un peu plus évolué en comparaison aux autres collecteurs informels de déchets. Et par ce fait, peut représenter une assise pouvant être utilisée opportunément dans le cadre des initiatives de renforcement des collecteurs informels en coopérative par exemple.

Comme indiqué dans le titre, l’ensemble de ces activités se réalisent dans un contexte totalement informel. Dans ce cas, elles se développent en dehors de toutes formes de taxation, reconnaissance et régulation par les autorités publiques. En plus, elles sont de petite taille, de faible productivité et de rentabilité financière. Les personnes qui s’insèrent dans ce champ d’activités sont de faible niveau socioéconomique et atteignent rarement le niveau secondaire de scolarité.

Les collecteurs informels sont faiblement équipés en outils et matériels appropriés leur permettant de réaliser, dans les meilleures conditions physiques et sanitaires, leurs activités. Une très faible proportion dispose de matériels motorisés. La collecte des déchets se réalise en grande partie à la main ou avec des outils rudimentaires. Les collecteurs ne portent presque pas de bottes, de gants, ou de cache-nez, alors qu’ils évoluent dans un environnement dangereux et infectieux. De plus, ils ne sont couverts par aucune forme de protection sociale. Comme on peut le comprendre, il s’agit des acteurs vulnérables et marginalisés sur le plan social et économique.

Ces éléments suggèrent la nécessité de les accompagner compte tenu de la spécificité de leurs activités et de leurs espaces d’intervention. Ces accompagnements peuvent prendre en compte l’acquisition des outils, des matériels motorisés, des guides ou manuels de formation, des mesures de protection sociale et autres supports nécessaires à l’accomplissement de leurs activités. Il est souhaitable que les coûts d’acquisition, de renouvellement et de maintenance de ces outils et matériels soient faibles ou financièrement accessibles. L’ensemble de ces appuis auront des impacts directs sur la collecte des déchets, l’amélioration des conditions de vie des collecteurs et des conditions environnementales dans lesquelles évoluent les populations urbaines du pays.

Un métier en quête de reconnaissance et de valorisation sociale et économique

Le travail et la contribution des collecteurs informels ne sont pas toujours reconnus et valorisés à leur juste titre par les autorités publiques et les populations locales de manière générale. Cependant, ils jouent un rôle très important dans la collecte de proximité des déchets, souvent de porte à porte, en échange d’une rémunération à la tâche sur la base du volume de déchets collectés. La présence des collecteurs informels est de plus en plus importante dans les espaces urbains marginalisés (ou bidonvilles, quartiers populaires) caractérisés par une forte densification, une faible accessibilité aux véhicules à quatre roues, et une faible présence des services municipaux de collecte de déchets solides. Il faut dire que depuis un certain temps, l’émergence des poches d’insécurité dans les quartiers populaires de la capitale et d’autres villes de province, réduit considérablement les activités des collecteurs informels.

Les déchets enlevés par les collecteurs informels peuvent prendre plusieurs directions : les bernes municipales, les points de regroupement spécifiques (dépôts sauvages) rencontrés dans les marchés publics ou les axes routiers, les ravins, les berges, les plages, les espaces d’entreposage des déchets valorisables, entre autres. Cette réalité décrit tout le paradoxe que charrient les activités des collecteurs des déchets solides qui peuvent être conçus dans certaines conditions comme un jeu à somme nulle au regard de leurs effets négatifs sur l’environnement et le cadre de vie de la population. Ce même paradoxe suppose du même coup que les impacts du travail des collecteurs informels seraient beaucoup plus élevés si les autres acteurs en amont et en aval de la chaîne réalisaient correctement leur travail. De cette manière, les collecteurs trouveront plus aisément des espaces d’écoulement de leurs déchets valorisables dans des entreprises spécialisées et les déchets non valorisables dans des endroits réservés à cet effet.  

La valorisation des activités des collecteurs informels passe également par la mise en œuvre des initiatives assurant leur organisation, leur structuration, leur formation et leur professionnalisation. Dans cette même veine, on peut également les encourager à se formaliser, et à obtenir de la reconnaissance légale et de l’utilité sociale auprès des municipalités. Il serait aussi pertinent de favoriser de meilleures relations de partenariat entre ces acteurs et les municipalités et les entreprises de recyclage des déchets, notamment celles travaillant dans les filières plastiques, métalliques et organiques. Il est indéniable que les entreprises de recyclage ont grandement besoin des collecteurs informels pour s’approvisionner en intrants indispensables à la production des biens vendus sur les marchés national et international. On peut également penser à les aider à avoir accès au microfinancement, à assurer la croissance, l’équilibre et l’autosuffisance financière de leurs activités.

[1] http://ciat.bach.anaphore.org/file/misc/366_20170809.pdf