Les communautés ont une santé mentale collective

Des esprits stables, des vies stables : une conversation avec Zhanna Chmut sur la « consolidation de la paix intérieure » en Ukraine

7 octobre 2022
A building damaged by shelling in Ukraine

Des bombardements ont partiellement détruit un immeuble d'appartements dans le district d'Obolon, à Kiev, en Ukraine, le 14 mars 2022. Le PNUD intègre la santé mentale et le soutien psychosocial dans toutes ses activités de consolidation de la paix dans le pays.

Photo : PNUD Ukraine/Oleksandr Ratushniak

Étant donné qu’une personne sur huit souffre de problèmes de santé mentale, fournir des services de santé mentale et de soutien psychosocial (SMSPS) est plus nécessaire que jamais pour former des communautés prospères. Cette histoire fait partie de la série de récits en plusieurs épisodes du PNUD « Des esprits stables, des vies stables : renforcer la capacité d’adaptation en consolidant la paix intérieure » (Settled Minds, Settled Lives: building résilience through #InnerPeacebuilding) qui examine attentivement la relation entre la SMSPS et développement humain, analyse les nouvelles approches pouvant renforcer la résilience face à la détresse mentale généralisée et qui souligne la nécessité d'intégrer la SMSPS dans tous les aspects de la consolidation de la paix, notamment dans les programmes de lutte contre l'extrémisme violent (PVE).

Dans ce premier épisode, Nika Saeedi, chef d'équipe du PNUD pour la lutte contre l'extrémisme violent, s'est entretenue avec la championne de la SMSPS Zhanna Chmut, spécialiste de l'engagement de la société civile et du développement des capacités au PNUD en Ukraine. 

 

Vous souvenez-vous du moment où vous avez réalisé que l'offre de services de santé mentale et de soutien psychosocial (SMSPS) était essentielle pour certains aspects des activités de l'ONU ?

Zhanna Chmut : Le droit à la santé mentale est un droit humain fondamental. Ayant travaillé sur le renforcement de la cohésion sociale communautaire en Ukraine avant même le début de la guerre, j'ai souvent observé qu'un facteur clé du développement était la capacité de la communauté à résoudre les conflits internes de manière non violente. Pour cette raison, la communication non violente est la première étape vers la santé mentale personnelle et communautaire. Pourquoi ? Je crois que les communautés ont une « santé mentale » collective.

Une communauté est un puzzle complexe d'individus et de relations. En Ukraine, depuis que le conflit armé a éclaté en 2014, les communautés ont dû accueillir des centaines de milliers de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (PDI) qui sont arrivées non seulement avec leurs connaissances et leurs compétences, mais également avec leurs traumatismes et leurs luttes. Recommencer leur vie dans un nouvel endroit a inévitablement affecté leur santé mentale — avec des répercussions sur les communautés d'accueil.

La situation s'est aggravée après l'invasion russe du 24 février 2022. On avait le sentiment que toute l'Ukraine était en première ligne — certains se battaient, d'autres se portaient volontaires pour aider ceux qui en avaient besoin. Beaucoup de nos partenaires, notamment les services d'urgence, la police, les ONG et les autorités locales, souffraient non seulement d’épuisement physique mais aussi d'épuisement émotionnel.

Cela explique pourquoi chaque nouvelle activité et projet de consolidation de la paix en Ukraine sous la direction du PNUD a aujourd'hui une composante SMSPS — comme la psychopédagogie, les numéros d’urgence SMSPS, les campagnes d'information, les outils numériques, la thérapie par l’art — pour restaurer la santé mentale de nos partenaires ainsi que des communautés que nous servons. Nos efforts n'auraient pas payé sans la SMSPS.

Zhanna Chmut

Zhanna participe à la conférence internationale « Santé mentale : Ukraine. Le monde. L'avenir. », organisée par le PNUD Ukraine.

Photo : PNUD Ukraine/Oleksandr Ratushniak

 

Pourquoi pensez-vous que la SMSPS devrait être intégrée dans la consolidation de la paix ?

Zhanna Chmut : Les besoins en santé mentale et en bien-être deviennent plus aigus dans un contexte mondial de polarisation accrue. Dans des conditions humanitaires et sécuritaires qui se sont aggravées, les communautés sont confrontées à une crise de santé mentale dont l’incidence a augmenté de 30 % en dix ans.

Malheureusement, ceux qui font appel à des professionnels de la santé mentale pour les aider sont encore victimes de stigmatisation et de préjugés véhiculés parfois même par leur famille et leurs amis. Avant la guerre, les prestataires de services de SMSPS combattaient ces préjugés au cas par cas.

Aujourd'hui, tous les Ukrainiens ont besoin de services de SMSPS à des degrés divers. Quoi qu'il arrive, les efforts de reconstruction d'après-guerre devront panser les blessures invisibles laissées par le conflit. En fait, c’est déjà le cas.

S'ils ne sont pas maîtrisés, les problèmes de santé mentale peuvent conduire à la violence ou au désengagement, ce qui entrave la consolidation de la paix. Par conséquent, il est essentiel d'intégrer les services de SMSPS dans la consolidation de la paix en Ukraine et de veiller à ce que ce processus soit une priorité essentielle pour le gouvernement. Je suis convaincue qu'une « personne en bonne santé est un état sain »  !

 

UNDP Ukraine conference on mental health and psychosocial support.

Le PNUD Ukraine a organisé la conférence internationale « Santé mentale : Ukraine. Le monde. L'avenir. » concernant l'urgence de fournir une assistance psychologique qualifiée aux non-combattants touchés par les conflits armés et aux anciens combattants.

Photo : PNUD Ukraine/Oleksandr Ratushniak

 

Comment peut-on parvenir à ce résultat selon vous ? Pouvez-vous donner des exemples de votre travail sur le terrain ?

Zhanna Chmut : L'intégration de la SMSPS dans la consolidation de la paix doit avoir lieu simultanément à différents niveaux (local, régional et national), et les processus doivent être interconnectés et complémentaires. À cet égard, dans le but de donner aux acteurs locaux les moyens d’avoir recours aux services de SMSPS, en particulier en temps de crise et de conflit, le PNUD a récemment publié une Note d'orientation sur l'intégration de la SMSPS dans la consolidation de la paix (Guidance Note on Integrating MHPSS in Peacebuilding), proposant pour la première fois une approche structurée pour intégrer la SMSPS dans la consolidation de la paix.

Par exemple, le PNUD en Ukraine apporte une assistance qualifiée à l'élaboration d'une politique nationale de réadaptation médicale et psychologique pour les ex-combattants qui constituent l'un des groupes les plus vulnérables en Ukraine, et l'ampleur considérable de leurs besoins doit être accompagnée d'une politique nationale de santé mentale qui comprend des dispositions spéciales pour tous les groupes vulnérables.

Au niveau régional, le PNUD a lancé des permanences téléphoniques de premiers secours psychologiques pour fournir aux citoyens des conseils par appel audio ou vidéo. Cette initiative a été couronnée de succès grâce à des campagnes d'information à grande échelle et, lorsque cela est possible, des services de SMSPS en personne sont également fournis dans les lieux où se rassemblent les personnes déplacées. Nous ne devons pas oublier qu’il faut vaincre la stigmatisation !

Au niveau local, cependant, l'accès aux services de SMSPS primaire constitue toujours un défi. Dans de nombreux villages reculés, aucun psychologue spécialisé n’est présent. Là, le PNUD se concentre sur l'engagement des conseillers scolaires, en renforçant leurs capacités à travailler avec les personnes déplacées et d'autres groupes vulnérables. Après avoir reçu une formation et avoir été équipés d'un ensemble de documents psychopédagogiques, les psychologues scolaires peuvent fournir des services de SMSPS primaire. À mon avis, ce sont des moyens que l'Ukraine doit tout simplement utiliser dans la situation actuelle.

Quel rôle le PNUD peut-il jouer dans la promotion du type de partenariats offrant la possibilité de mieux intégrer la SMSPS dans la consolidation de la paix ?

Zhanna Chmut : Depuis 2016, le PNUD est l'organisation-chef de file derrière l'un des plus grands programmes de consolidation de la paix du pays — le Programme de relèvement et de consolidation de la paix des Nations Unies (UN Recovery and Peacebuilding Programme). C'est pourquoi nous sommes extrêmement bien placés pour faciliter l'intégration de la SMSPS dans la consolidation de la paix en Ukraine. Pour y parvenir, nous avons encouragé des partenariats avec des ministères clés et lancé des initiatives de plaidoyer qui influencent la politique au niveau national, tout en nous concentrant également sur le développement régional ; nous avons soutenu des réseaux d'organisations de la société civile, notamment celles qui sont actives dans le domaine de la SMSPS et qui la promeuvent. Ce sont des partenaires précieux qui ont apporté de réels changements dans la vie des gens.  Enfin, nous avons soutenu la mise en place de systèmes conjoints d'analyse et de médiation des conflits dans les mêmes communautés où nous défendons activement l'importance de la santé mentale, tout en luttant contre la stigmatisation qui l'entoure.

Le PNUD, en tant qu'intégrateur clé des Objectifs de développement durable, travaille avec des groupes vulnérables, encourageant les jeunes à étudier activement comment ils peuvent contribuer au redressement du pays, tout en veillant à ce que les personnes âgées ne soient pas laissées pour compte.

La guerre nous pousse à délibérément renforcer les liens entre ces deux éléments, faisant de la SMSPS une condition préalable à la médiation des conflits au niveau communautaire. Le travail exhaustif effectué pendant huit ans par le Programme de relèvement et de consolidation de la paix dirigé par le PNUD est à l’origine du renforcement des efforts de reconstruction menés par les communautés : notre objectif est de veiller à ce que les acteurs de la société civile soient considérés comme des partenaires de confiance qui aideront l'État à fournir des services de SMSPS primaire.

 

Cognitive processing therapy training

Le PNUD s'est associé à l'ONG Communities of Self-Help, à la Wayne State University School of Social Work (États-Unis,) et à la société Clairpointe Family Therapy (États-Unis) avec le soutien financier du gouvernement du Canada pour organiser des formations sur la thérapie du processus cognitif destiné aux psychologues scolaires.

Photo : PNUD Ukraine/Serhii Mosevyc

 

Enfin, comment les interventions d'aide peuvent-elles atténuer les traumatismes collectifs et favoriser la résilience communautaire, pour arriver de manière durable à une paix à long terme ?

Zhanna Chmut : De nombreuses organisations internationales travaillent sur la SMSPS en Ukraine, et bien que leur objectif soit le même — surmonter les traumatismes pour une meilleure résilience — chacune utilise des protocoles et des stratégies différents. Pour garantir que notre travail est efficace et durable, nous devons rechercher des synergies et des normes communes, et adopter des stratégies qui améliorent les capacités et les systèmes locaux, sans dupliquer les efforts. Selon moi, trois choses importantes pourraient contribuer à la durabilité de la consolidation de la paix dans les communautés :

  1. L’élaboration de stratégies SMSPS au niveau infranational, voire local — qui alimentent un programme global au niveau national. Celles-ci doivent inclure des initiatives visant à soutenir le renforcement du tissu social, à améliorer la cohésion sociale et à faciliter l'intégration de nouvelles populations dans les communautés d'accueil.
  2. Poursuivre le processus de numérisation dans la fourniture des services SMSPS, en les rendant plus largement accessibles, assurant ainsi une large couverture des besoins en santé mentale à travers le pays. 
  3. Promouvoir une culture de la santé mentale et de l'engagement civique : le PNUD Ukraine a piloté des activités en milieu scolaire qui forment de jeunes champions de la médiation des conflits. Je crois que le même modèle pourrait être utilisé pour créer des champions adultes de la santé mentale.