Employabilité des jeunes et assainissement des villes : leçons apprises du pilote d’économie circulaire l’or dans nos poubelles

Laboratoires d'accélération

17 juin 2023

Jeunes maçons employés pour la pose des pavés plastiques sur le trottoir à Bukavu

LabAcc/PNUD-RDC

Auteurs

Serge Kusinza

Responsable de l’exploration

Tatianna Lukama Binda

Responsable Expérimentation

Olivier Bampendi Mufuta

Responsable de la Cartographie des Solutions

Chaque 5 juin, nous célébrons la Journée mondiale de l'environnement pour nous rappeler que les actions des citoyens et des autorités publiques en matière de lutte contre la pollution plastique sont salutaires pour le développement durable de nos villes. Plus de 400 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde, dont la moitié est conçue pour n'être utilisée qu'une seule fois. Sur ce total, moins de 10 % sont recyclés.
Les microplastiques - de minuscules particules de plastique d'un diamètre allant jusqu'à 5 mm - se retrouvent dans les aliments, l'eau et l'air avec des conséquences néfastes sur la santé des millions d’habitant à travers le monde. En RDC, le laboratoire d’accélération accompagne certains acteurs locaux pour relever le défi.
La ville de Bukavu, à l’image de toutes les villes urbaines de la RDC, connait une forte densité de la population du fait de l’exode rurale et de l’insécurité dans les milieux ruraux. A côté de tout cela s’ajoute des défis irrésolus d’assainissements de la ville qui comme de nombreuses villes congolaises n’ont pas un système de collecte et gestion de déchets solides et encore moins les déchets plastiques.

Laboratoires d'Accélération — Jeunes maçons employés pour la pose des pavés plastiques sur le trottoir à Bukavu

Photo LabAcc/PNUD-RDC

D'autres part, le taux de chômage y est endémique du fait d’une structure économico industrielle insignifiante, très négligeable pour offrir des débouchés aux jeunes. Ces derniers vivent dans une forte précarité qui les expose aux d’abus, à la radicalisation au sein des groupes armés et au gangstérisme urbain. Et si la valorisation des déchets plastiques par l’intelligence collective pouvait adresser ces différents défis de manière durable ?

L’or dans nos poubelles, un potentiel transformateur !
La ville de Bukavu produirait plus de 900t/jour de déchets solides dont la moitié serait constitué de déchets plastiques selon une enquête d’UN Habitat en collaboration avec la mairie de Bukavu. Il y a de la matière première à profusion pour tout acteur qui justifie d’une expertise dans la valorisation des déchets plastique dans toute sa chaine de valeur allant de la collecte et stockage jusqu’à la transformation.

Laboratoire d’Accélération du PNUD en collaboration avec l’incubateur Kivu Technologie (KIVUTECH) avait organisé une expérimentation dans la ville de Bukavu sur l’économie circulaire dénommé « l’or dans nos poubelles ». Cette activité a été organisée en synergie avec un ensemble d’acteurs autour de la collecte, l’évacuation, le tri, la transformation des déchets plastiques en pavés ainsi que de la pose des pavés transformés sur le trottoir à Bukavu dans une logique de chaine de valeur.
Le pilote avait aussi pour défis de tester des modèles d’incitants susceptible de stimuler à la hausse le taux de collecte et de valorisation des déchets plastique mais aussi la soutenabilité économique pour les futurs jeunes entrepreneurs.

L’intelligence collective et l’approche système au cœur du pilote
Dans le contexte local, mener une telle expérimentation est un défi complexe. L’économie circulaire est un sujet nouveau, les acteurs qui s’y intéressent évoluent dans l’informel cherchant comment prouver leurs modèles et en vivre. Pour lancer le pilote sur une base réaliste, il nous fallait cartographier à minima les acteurs actifs dans le secteur, convaincre la mairie de nous accompagner et collaborer avec un incubateur pour capitaliser sur l’effet de réseau et l’encadrement des acteurs nécessitant un renforcement des capacités. Par cette intelligence collective, nous avions réussi à créer un socle cohérent d’acteurs et avons défini le cadre de collecte des apprentissages pour guider les intervenants de la chaine à chaque niveau.

Les retombés de cette expérience

1. Employabilité et transformation : Pour 11 tonnes de déchets à trier, répartis sur 6 différents sites, le besoin en main d'œuvre a été de 17 personnes, d’une moyenne d’âge de 23 ans et pour une rémunération moyenne de 3.7$ par jours et par personne. A un seul site de transformation, le besoin en main d'œuvre a été de 7 personnes, dont la moyenne d’âge est de 24 ans et pour une rémunération moyenne de 5$ par personne par jour. Pour fabriquer des bons pavés, les déchets plastiques doivent être hétérogène : bouteilles, bidons, sacs, sachets et trié dans la phase de collecte pour les séparer des métaux et autres objets indésirables.

2. Assainissement de la ville : Avec les 11 tonnes de plastique transformés en 3500 pavés, il a été possible de couvrir une surface de 100m2 de trottoir au centre-ville, capables de supporter un engin de 18 tonnes. Il a également été observé que pour construire un trottoir à l’aide des pavés durs venus des déchets plastiques et produits localement, il faudrait l’implication des plusieurs acteurs pour ne pas avoir des blocages mais également le matériel approprié pour la découpe des pavés.

3. Cadre collaboratif nécessaire : La collaboration avec la mairie de Bukavu, les chefs de quartier, les autres responsables des services étatiques et paraétatiques, la population de la ville de Bukavu a facilité l’exécution des activités du projet. La ville de Bukavu a un besoin urgent de se doter d’une décharge mais aussi de beaucoup plus d’acteurs du recyclage pour espérer absorber et traiter les 829 tonnes de déchets solides non collectés.

A échelle micro, cette expérience a prouvé qu’assainir l’environnement en donnant une seconde vie aux déchets plastiques non biodégradables, qui polluent la ville, le lac-Kivu et menace le bon fonctionnement du barrage de Ruzizi, était une opportunité d’affaires et d’employabilité des jeunes pour le bien de la communauté.

La synergie des acteurs, un premier pas vers une potentielle mise à échelle

L'une des principales réalisations du projet a été la mobilisation de plusieurs partenaires, à commencer par l'appropriation et l'implication effective de la mairie de Bukavu, au Sud-Kivu. Les associations et start-ups des jeunes travaillant dans l'environnement, et d'autres parties prenantes ont été réuni pour réfléchir sur une mise à échelle de l’initiative. C’était une occasion pour les acteurs de mettre ensemble les informations nécessaires à construire une feuille de route vers une mise à échelle potentielle de l’initiative. Cela reste un défi à relever car la question de l’accompagnement de l’écosystème reste entière à côté des défis logistiques liés à l’urbanisation informelle non contrôlé de la ville de Bukavu.

Les leçons apprises

⦁ La synergie entre tous les acteurs intervenants à des différents niveaux de la chaine de valeur des déchets plastiques et la démarche participative a facilité l’exécution des activités, permis d’éviter les conflits d’intérêt entre différents porteurs de projet et contourné les contraintes d’ordre politique, économique, sociaux et environnementaux.
⦁ L’expérimentation a permis de démontrer que les déchets plastiques représentent une opportunité d’emploi pour plusieurs personnes désœuvrées et un moyen pour assainir la ville de Bukavu, protéger la diversité, pour éviter les inondations
⦁ L’aménagement de la ville de Bukavu requiert d’urgence la dotation d’une décharge publique aux environs pour accommoder la chaine de valeur des déchets solides en général et des déchets plastiques en particulier. À ce jour, la ville ne peut plus en avoir à cause de l’urbanisation à outrance de tous les sites qui étaient disponibles.