Débat : « Les femmes dans l’économie informelle ! »

25 mai 2021

Débat entre panelistes lors du petit-déjeuner thématique.©PNUD Burundi/Aaron Nsavyimana/2021

«L’objectif de ce petit déjeuner sera donc de discuter de la réalité du secteur informel au Burundi à travers 3 points clés à savoir l’accès aux ressources, la protection sociale des femmes dans l’économie informelle, la Gouvernance (environnement institutionnel) », c’est par ces mots que Mme Nicole Kouassi, représentante résidente du PNUD, a ouvert, ce 25 mai 2021, le débat organisé sous format de petit déjeuner sur le thème : « les femmes dans l’économie informelle ».

S’appuyant sur les chiffres pour montrer la part importante de la femme dans les acteurs de l’économie, Mme Nicole a souligné qu’à l’instar du reste de l’Afrique, le secteur informel, au Burundi, représente 76% des emplois non agricoles, 94,5% des activités du secteur primaire, 46,8% des activités du secteur secondaire et 37,8% des activités du secteur tertiaire. Par ailleurs, elle a souligné l’importance du secteur informel dans l’économie avec un apport de plus de 50% de la valeur ajoutée du PIB et se taillant plus de 80% d’occupation de la population active.

Elle a rappelé que l’idée d’organiser une telle rencontre pour offrir un espace de réflexion et de discussions sur des sujets d’intérêt du Gouvernement, du PNUD avec des différents partenaires est née en décembre dernier, suite à sa rencontre avec les femmes travaillant dans le commerce transfrontalier (secteur informel), qui lui ont fait part de leurs défis et préoccupations et de leur besoin d’appui et d’accompagnement.

Cette rencontre suivi en présentiel et à distance « via zoom » pour des raisons de Covid-19 a mis sur la table des panelistes intéressés par les questions du secteur informel et de la place de la femme dans l’économie du pays dont un expert universitaire, une spécialiste dans la protection sociale du gouvernement et d’autres expertes de la microfinance, de projet des Nations Unies impliqués dans l’amélioration des conditions de vie de la femme à travers l’agro-élevage et le microfinancement, et de la société civile.

Ces panelistes étaient suivis et en interactions avec un parterre des partenaires gouvernementaux, techniques et financiers, des institutions de la finance, du système des Nations Unies et de la société civile et du secteur privé.

Le secteur informel : un secteur moins structuré et non une fuite d’impôt

Invoquant souvent la théorie macroéconomique, le professeur Salomon Nsabimana, a fait une lecture d’un économiste par rapport au rôle de la femme, à la création de richesses et à l’importance du secteur informel. Définissant du point de vue économique le secteur informel comme un secteur relativement moins structuré, il a nuancé pour les gens qui pourraient penser au caractère illégal de fuir l’impôt ou de fuir les dispositions réglementaires. Autre nuance de taille évoquée par Salomon, avant on croyait à une activité qui se fait au noir, au clair de la lune, mais selon le BIT, c’est une activité qui se fait en plein soleil. D’où les personnes qui sont dans l’informel veulent passer au formel et ne pas être considérées comme des gens qui fuient l’impôt, mais, des hommes et femmes d’affaires.

Revenant sur la femme dans l’économie informelle, il note que c’est une actrice, qui contribue non seulement à la production des richesses, mais aussi à la création de l’emploi. « Lorsque les activités de ces femmes évoluent, on évolue vers la création des entreprises et si on regarde au niveau statistique, les activités du secteur informel sont appréhendées comme des entreprises individuelles, impliquant le rôle de la femme dans la création de richesses, d’emplois, d’entreprise individuelle ou familiale. Il fait savoir que la place de la femme dans l’économie informelle et formelle est une question de structuration. Autrement dit, le degré de formel vient parce qu’on connaît cette catégorie de gens. Il s’est arrêté sur la faculté de la femme à développer les capacités, notant tout simplement qu’une femme pauvre quand elle entreprend dans le secteur informel, elle parvient à être résiliente aux chocs sociaux dans ce sens qu’elle évolue vers son autonomisation à travers la création de revenus, de richesses, qui, à un certain moment, peut soutenir la famille, mais aussi, parvient à se tailler une place dans la société et aussi dans l’entreprise. Elle parvient rapidement à sortir de son état de précarité par la création de revenus et de richesses pour soutenir et améliorer les conditions de vie de la famille.

Parlant des statistiques, il a évoqué un « oui-non » quand à leur existence. Oui parce les partenaires œuvrant dans différents secteurs ont un certain nombre de statistiques. Toutefois, s’ils existent chez les intervenants directs, c’est « non » du côté de consommateurs de données qui éprouvent un manque criant. Aussi, bien qu’on arrive à avoir quelle est la part du secteur informel lors des enquêtes ponctuelles il y a manque de données désagrégées pour voir la place de la femme et  son rôle , oui et non les statistiques manquent au niveau global et existent au niveau des partenaires, mouvement associatif, etc.

Il se réjouit qu’au niveau de la planification, notamment du PNUD basée sur les ODD et dans les politiques du gouvernement on retrouve la place de la femme, « ce parce que la femme contribue à la création de richesses et d’emplois », note-t-il.

 Abordant, la question de la protection sociale, Mme Béatrice Munezero, chargée du suivi évaluation au secrétariat permanent au bureau de la protection sociale, a spécifié cette protection comme un ensemble de mesures publiques et privées qui concourent à assurer les revenus mais aussi à réduire la vulnérabilité économique et sociale et à réduire la pauvreté au Burundi, a mis en exergue deux sortes de protections sociales : « contributive et non contributive ».  Contributive, il y a contribution des bénéficiaires pour les prestations dont ils doivent profiter et non contributives, les bénéficiaires ne contribuent pas dans la cadre d’avoir les prestations.

Vers le renforcement de la protection sociale au Burundi

Elle se félicite du pas franchi en la matière. En effet, depuis 2011, il existe une politique de protection sociale venue renforcer la protection solidaire et les mécanismes qui existaient avant. L’extension de la couverture de la protection sociale aux secteurs non couverts comme l’informel, le renforcement contre les risques sociaux, le renforcement des organes de mise en œuvre de cette politique et depuis 2015, la mise en place de la stratégie de mise en place de cette politique, constitue une plage disponible actuellement vers la mise en place d’une protection sociale élargie et couvrant l’informel.

Actuellement, le pays est au stade d’évaluation et d’actualisation de la stratégie qui, en son deuxième objectif, s’intéresse à assurer la sécurité alimentaire et la sécurité élémentaire de revenus pour le secteur informel mais bute toujours sur le manque de données désagrégées pour la protection sociale et le problème de collecter les données pour la protection non contributive.

« Depuis mai 2020, nous avons le code de protection sociale. Nous avions celui de sécurité sociale qui concerne le secteur formel structuré, celui de protection sociale intègre l’informel. Même si le texte régissant les secteurs rural et informel n’est pas disponible, il est prévu des régimes spéciaux et facultatifs concernant les deux secteurs. Une loi est attendue pour que secteur informel bénéficie des avantages de santé et autres prestations du formel. La loi portant l’organisation associative est le grand chantier de la protection sociale. L’extension commencera par la couverture santé avec la couverture universelle en cours de discussion avec le ministère de la santé, le ministère ayant les affaires sociales dans ses attributions et le ministère des finances. Nous sommes en train de développer le registre social unique, base de données sur les ménages vulnérables et tous les problèmes de protection sociale en commençant par le non formel à travers tous les projets développés via ce secteur », précise Béatrice.

 Sur le programme figure aussi le développement et l’extension, à travers tout le pays, de projets de filets sociaux Merankabandi de transfert monétaire existant actuellement dans 4 provinces du pays, sans oublier la banque de femmes, mais aussi, au niveau de la pension des fonctionnaires, la mesure prise de leur octroyer l’équivalent de leur salaire mensuel.

Quant à la représentante de l’AFRABU (Association des femmes rapatriées du Burundi), Mme Godelieve Manirakiza, elle a axé son intervention sur les problèmes rencontrés par les personnes qui exercent le commerce transfrontalier dans la région des grands lacs, qui, selon une étude menée en 2012 par Alerte Internationale est dominé à 72 % par les femmes.

Commerce transfrontalier, un métier très risquant pour les femmes

Ces femmes s’adonnent au petit commerce transfrontalier moins exigeant mais très risquant. Ce commerce demande un petit capital parce qu’avec 50 dollars on peut la commencer.  Même si ces femmes en ont fait un métier, il est très exigeant dans ce sens qu’il demande beaucoup de mouvements, traversant la frontière, à vélo, à moto ou à pied. « La frontière est leur champ, leur gagne-pain. C’est leur moyen pour atteindre le bien-être social », souligne Godelieve. Souvent, disposant des familles de part et d’autre de la frontière, ce commerce devient pour elles un moyen de maintenir des relations entre les pays et leurs familles. Il constitue aussi un baromètre de sécurité car, quand il y a la sécurité, ces femmes traversent régulièrement mais en cas d’insécurité il y a baisse de mouvement.  Se référant au nombre de rapatriés enregistrés depuis 2017, jusqu’au 21 mai 2021 à la direction générale du rapatriement, les chiffres parlent de 52319 ménages composés de 152.892 personnes rapatriées, données malheureusement non désagrégées par sexe. Fait important, ces rapatriés, en grande majorité, préfèrent rester à la frontière, un endroit où ils érigent résidence. Ils sont rapatriés ou déplacés provenant du milieu rural, soit pour chercher la terre, soit pour commencer les affaires transfrontalières. Par exemple, à Gatumba les femmes préfèrent rester là-bas pour aller cultiver les terres en RDC et à Ruhwa, Kanyaru haut et Mugina, les femmes et les ménages à la frontière pour faire le commerce. Les femmes restent aussi à la frontière pour garder l’œil sur les biens, les familles, les parentés qu’elles ont laissés derrière dans l’autre pays. Si les rapatriés peuvent rester à la frontière pour s’éloigner des conflits familiaux pouvant naitre des relations dans les villages, Mme Godelieve déplore que bien que ce petit commerce qui devient leur moyen d’existence en créant des emplois et en leur procurant du revenu n’est toujours pas organisé ni structuré.

Non structuré, ce métier s’annonce pleins de défis, dont les violences dues à la méconnaissance des règles du métier, le recours à la fraude, un faible capital, un faible accès au crédit dans les institutions de microfinances par manque de garantie. De ce fait leur métier peut s’arrêter inopinément. C’est le cas avec Covid-19 et les inondations de Gatumba, leurs affaires ont cessé inopinément. Mme Godelieve plaide pour la mise en place d’un programme de réinsertion et de réhabilitation pour cette catégorie de gens afin de les mettre dans leurs familles et un accompagnement pour qu’ils puissent exploiter le paquet retour qui, s’il n’est pas bien utilisé devient source de conflits sociaux entre époux. En dépit d’un encadrement fait à l’endroit de ces femmes par l’AFRABU, pour Mme Godelieve, il est urgent d’établir un cadre légal pour que ce commerce informel soit valorisé et contribue au développement et à l’économie du pays et à leur bien-être. D’après elle, est aussi indispensable le développement d’un partenariat social et économique dans l’élaboration des projets et la gestion de petites entreprises pour faciliter l’accès de ces femmes aux ressources financières et aux crédits. Elle demande aux IMF (institutions de microfinance) d’améliorer l’octroi de crédits solidaires car elles n’ont pas de garanties. Bref, il faut les aider à accéder au marché en structurant le commerce transfrontalier pour le rendre formel, mettre sur pied des plateformes pour les organiser en association et enfin arriver à les transformer en coopératives pour avoir un cadre bien organisé et les développer dans la compétitivité, sans oublier de les aider à collaborer avec d’autres institutions et organisations de la sous-région.

Projets bancables, garantie, accès au crédit et aux facteurs de production, autant de défis pour les femmes du secteur informel

De son côté, la directrice exécutive du RIM (Réseau des institutions de microfinance) a dépeint un tableau peu reluisant. Les femmes, en plus de manquer de garantie, elles éprouvent le problème d’élaboration de projets bancables, d’identification de marché et ne sont pas  informées sur où et comment s’adresser aux financiers pour accéder au crédit. Certes, certaines femmes encadrées par les ONG et les associations villageoises demandent de  petits, mais le constat global est que bien qu’on essaie de les regrouper, elles n’ont pas de bagages pour anticiper sur des crédits créateurs de richesses.

Parlant avec un cœur de femme, M. Louise a indiqué que ça fait mal d’entendre que les institutions de microfinance ne financent pas les crédits alors qu’on ne voit pas qui les donner.

Elle a enfin dégainé une série d’initiatives à activer dont l’organisation des séances d’éducation financière, changer d’approche et amener ces femmes à penser business et revenu, les éduquer pour le montage de projets bancables, les mettre dans les groupes de solidarité, constituer une base de données et les familiariser avec la fiance digitale pour accéder aux services financiers de qualité.

Le FIDA est aussi venu témoigner sur sa contribution dans le secteur. Mme Béatrice Bitsure, consultante au projet FIDA qui intervient dans le monde rural où  les femmes dominent à 97,4 % dans le secteur agricole note que malgré son importance dans la croissance économique et sa contribution à 50% du PIB, la femme reste toujours discriminée par l’accès inéquitable au facteur principal de production qui est la terre dont le régime patriarcat burundais veut qu’elle se transmette de père en fils alors qu’elle a la charge sociale du fonctionnement domestique.

Pire encore, l’homme incarne l’autorité, il contrôle tout et prend des décisions sur les revenus du ménage venus de la sueur de la femme, la femme qui a produit n’a aucun pouvoir sur ce contrôle.

A la fin on se demande si ce revenu contribue au développement réel et durable du ménage et à la cohésion sociale, parce que quand le revenu a augmenté, il peut contribuer à la déstabilisation du ménage, à la non-cohésion sociale, vu que les hommes peuvent chercher à vivre au-delà de leurs moyens jusqu’à prendre une deuxième épouse ce qui augmente les violences basées sur le genre.

Pour apporter un léger mieux dans l’amélioration des conditions de vie de la femme, le FIDA contribue à l’allégement de la pénibilité de la femme en instaurant les foyers améliorés qui limitent le nombre de fois qu’elle va chercher du bois et contribuent à la protection de l’environnement. Parallèlement, il fait installer des collecteurs d’eau dans les ménages les bénéficiaires de bovins, épargnant à la femme la corvée de se rendre à la source pour puiser l’eau.

Et pour faciliter l’accès des femmes aux moyens financiers, le FIDA, par l’entremise d’un projet d’inclusion sociale qui promeut un partenariat avec les institutions de microfinances les réunit dans des groupements de caution solidaire rotative et en coopératives.  De ce fait, elles peuvent accéder aux microprojets.

Le FIDA favorise également la promotion de la participation de la femme dans les structures communautaires et coopératives et met en avant une approche de dialogue au sein des ménages « gender action learning system » qui consiste à apprendre aux ménages (maris et femmes) à planifier leur développement ensemble. Cette approche permet à la femme de participer à la gestion du ménage. Afin de faire bénéficier à la femme les retombées de sa participation au circuit économique, Mme Béatrice prône l’augmentation de son accès aux facteurs de production, au crédit et aux intrants ; la promotion les attitudes d’égalité de genre ; ainsi que le renforcement des capacités des acteurs d’égalité de genre et membres de groupements.

Ces exposés ont ouvert un grand débat sur l’aide à apporter à la femme pour qu’elle embrasse les opportunités disponibles tel que le commerce en ligne, l’accès aux services financiers et à l’information, la capacité managériale, le capital social, la conception de projets bancables, l’assurance commerciale des biens et des personnes, la protection sociale, la vulgarisation à grande échelle des avantages de passer de l’informel au formel, l’analyse des conséquences de la Covid-19 en termes de chocs sociaux, l’aménagement des espaces sensibles aux genre aux postes douaniers,…--- Article text goes here ---