Les pays en situation d’incertitude constitutionnelle ont besoin de plus d’aide au développement, pas moins
6 août 2025
Afin de protéger les plus vulnérables, la communauté internationale doit repenser son approche consistant à mettre en pause les aides vers les pays traversant des périodes d'incertitudes constitutionnelles.
C’est une histoire à la fois tragique et, ces derniers temps, tristement familière. Le pouvoir d’un pays est renversé par des moyens illégitimes : coup d’État, insurrection, ingérence électorale, révision constitutionnelle. Au milieu de ces bouleversements, tout s'arrête, de la confiance dans les institutions publiques et l’État de droit aux services essentiels qui permettent de maintenir l’électricité, les hôpitaux et les cliniques qui soignent les personnes ayant besoin de soins de santé et la scolarité des enfants. Dans le même temps, l’aide au développement de la communauté internationale appelle à une « pause », attendant que la poussière retombe avant de déterminer quand et comment réagir, même si cette hésitation ne fait souvent qu’ajouter à la tempête.
Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, notre expérience montre que le maintien, voire le renforcement, de l’aide pendant les périodes d’incertitude constitutionnelle peut accélérer la stabilisation et ouvrir la voie à une trajectoire de développement plus solide. La communauté internationale a aujourd’hui l’occasion de repenser cette stratégie pour venir en aide aux plus de 5 millions de personnes gravement touchées par le récent séisme de magnitude 7,7 qui a frappé le Myanmar. Plus de 3 600 personnes ont perdu la vie – et beaucoup d’autres sont portées disparues – dans un contexte déjà marqué par une crise politique aggravée. Dans des moments comme celui-ci, un développement accru peut faire une grande différence s’il atteint toutes les régions, quelle que soit l’autorité qui les contrôle, et s’il passe promptement de la phase de secours à celle du relèvement rapide et de l’ouverture d’espaces pour la paix.
L’aide seule n’est certes pas une panacée. Mais si elle est fournie de manière stratégique, elle peut contribuer à mettre en place des moyens et des systèmes permettant de renforcer la résilience à partir de la base. Elle peut empêcher les personnes les plus vulnérables d’un pays de sombrer dans l’extrême pauvreté et protéger les acquis du développement durement obtenus, qui pourraient autrement prendre des décennies à se reconstituer.
Le maintien, voire l'augmentation, des aides internationales peut permettre d'éviter qu'une période de chaos politique ne dégénère en un cercle vicieux prolongé de régression économique et sociale.
Changement anticonstitutionnel de gouvernement
Au cours des quatre dernières années, au moins dix pays ont connu de tels changements anticonstitutionnels de gouvernement (CAG). Ces changements s’accompagnent souvent de soulèvements civils, de tensions géopolitiques internes et externes et de déplacements massifs de populations, ce qui porte atteinte aux normes démocratiques et met en péril le contrat social.
Face à une telle incertitude, il n’est guère surprenant que l’instinct politique de nombreux partenaires internationaux soit de geler ou de réduire leurs opérations. Souvent, la réaction immédiate consiste à retirer l’aide, en attendant que des solutions politiques émergent sans heurts et comblent le vide.
Mais cela augmente le risque qu’une période de chaos politique dégénère en un cercle vicieux prolongé de régression économique et sociale, marqué par une érosion des droits humains et des opportunités qui entrave le relèvement.
Au contraire, les données disponibles suggèrent qu’il serait plus judicieux de se concentrer sur la protection des acquis en matière de développement humain, c’est-à-dire sur la reconstruction des économies, des capacités et de la résilience locales.
Le maintien des marchés alimentaires locaux permet de réduire la malnutrition et le risque de famine. Garantir l’accès à l’éducation de base et aux soins de santé permet de prévenir les épidémies et les crises sanitaires. Soutenir le développement des compétences et la création de moyens de subsistance permet aux entreprises locales de survivre et de se développer. Les investissements dans les énergies renouvelables et les systèmes d’approvisionnement en eau assurent la sécurité des populations à un moment où les services publics ne peuvent plus fonctionner de manière optimale.
Les conséquences d’un « gel de l’aide » ou de l’inaction sont dévastatrices, plongeant des populations déjà vulnérables dans une obscurité et un désespoir encore plus profonds, alors même que les ressources sont plus que jamais nécessaires.
Après le renversement militaire du gouvernement malien en 2020, par exemple, de nombreux donateurs internationaux ont suspendu leurs projets de développement ; en 2021, l’UNICEF signalait que plus de 1,5 million d’enfants étaient déscolarisés à travers le Mali. De même, le coup d’État militaire de 2021 au Myanmar a entraîné une contraction de 18 % de l’économie, avec un doublement du taux de pauvreté et la disparition de la classe moyenne. Aujourd’hui, une situation proche de la famine règne dans certaines parties de l’État de Rakhine.
Considérez ces revers à la lumière de notre expérience en Afghanistan. Après la prise du pouvoir par les Taliban en août 2021, le PNUD s’est attaché à faciliter la continuité des services publics essentiels tels que les dispensaires, à relancer les petits systèmes d’irrigation et d’approvisionnement en eau, et à renforcer les capacités et les systèmes locaux tout en intensifiant l’aide fournie par les ONG locales et les organisations de la société civile.
Un mécanisme d’intervention rapide a été mis en place en partenariat avec le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et des donateurs tels que l’UE, l’Allemagne, le Japon et d’autres. Cette facilité essentielle a contribué à stabiliser l’accès aux services essentiels, à prolonger les emplois, à soutenir les PME et à reconstruire les infrastructures communautaires et les services de base, bénéficiant en fin de compte à 24 millions de personnes sur une période de trois ans jusqu’en septembre 2024. En outre, 3,5 millions de citoyens afghans ont obtenu l’accès à une énergie propre pouvant alimenter des cliniques, des opérations de gestion des déchets, des écoles et des foyers. La situation reste précaire en termes de développement humain, et la population afghane est loin d’être tirée d’affaire. Cependant, des investissements précoces dans l’espace économique et les activités de base des ménages ont contribué à atténuer certaines difficultés.
« Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, notre expérience montre que le maintien, voire le renforcement, de l’aide pendant les périodes d’incertitude constitutionnelle peut accélérer la stabilisation et ouvrir la voie à une trajectoire de développement plus solide. »
Si chaque CAG est unique et nécessite une réponse ciblée, les femmes et les filles ont tendance à être les plus touchées par l’instabilité. Le cas de l’Afghanistan n’a pas fait exception. En réponse à la quasi-disparition des femmes de la vie publique, le PNUD a mobilisé des ressources pour autonomiser les Afghanes dans le commerce et les affaires, l’un des rares domaines où les femmes peuvent encore trouver des opportunités. À ce jour, quelque 80 000 entreprises détenues et dirigées par des femmes ont bénéficié d’investissements soutenus par des partenariats dans les domaines du financement, de la formation professionnelle, de l’accès aux marchés et des technologies numériques. Cet effort a permis de créer près de 450 000 emplois, principalement pour les femmes et les jeunes.
Lorsqu’un tremblement de terre a frappé Hérat en 2023, le PNUD a pu mobiliser son vaste réseau local pour mettre rapidement en place des programmes de travail contre rémunération, construire des abris provisoires et mettre en place des mesures de relèvement à plus long terme au profit de villages entiers, dont certains avaient été entièrement détruits. Ces initiatives sont actuellement en cours d’extension.
Pour en revenir au Myanmar, nous avons l’occasion de changer de cap dans le cadre de la réponse au séisme et de relancer le processus de relèvement rapide axé sur la reconstruction des opportunités économiques locales, des moyens de subsistance et des infrastructures de base.
Saisir l'occasion
L’une des leçons à tirer de l’expérience de Hérat est qu’il est important de tirer parti de son influence dès que possible pour promouvoir des réponses à long terme, menées par les communautés. Les CAG créent une fenêtre d’opportunité éphémère pendant laquelle les partenaires du développement peuvent affecter des ressources au renforcement des capacités d'adaptation des communautés touchées, en s’appuyant sur les acteurs présents sur le terrain plutôt que sur les structures étatiques. Cette fenêtre se referme toutefois rapidement, car les conséquences d’un CAG entraînent souvent une instabilité politique et un déclin de l’attention internationale.
Une présence précoce et continue sur le terrain est indispensable pour agir rapidement et efficacement. Être présent avant, pendant et après une crise permet d’intervenir avec souplesse et réactivité, en s’adaptant à la situation, en utilisant les connaissances locales pour atténuer les effets immédiats d’une crise tout en jetant les bases d’un relèvement durable à plus long terme.
Le renforcement des capacités joue un rôle essentiel dans ce contexte, car il permet aux communautés d’adapter leurs compétences et leurs comportements à l’évolution des circonstances, réduisant ainsi leur dépendance à une aide humanitaire prolongée. En investissant dans des stratégies qui renforcent la résilience locale, telles que l’adaptation au changement climatique, la gestion de l’eau ou la sécurité énergétique, les partenaires au développement peuvent aider les communautés à se construire un avenir plus résilient face aux chocs.
Notre expérience en Afghanistan souligne l’importance de maintenir une approche sensible au genre qui mette en avant l’impact sur les femmes et les filles. Cela nécessite un engagement sans faille en faveur de l’égalité et de la justice entre les sexes, en particulier dans les contextes où des obstacles culturels ou systémiques compromettent leur espace, leur voix et leur autonomie.
Enfin, le renforcement des mécanismes de gestion des risques et de conformité améliore la responsabilité et l’efficacité, en particulier lorsque les systèmes standards de suivi et d’information ont été entravés. Dans les environnements instables qui suivent les conflits armés, les risques de détournement et de mauvaise gestion des ressources s’intensifient. Il devient essentiel de procéder à des contrôles ponctuels réguliers, de mener des enquêtes ciblées et d’utiliser les données numériques, l’intelligence artificielle et les données satellitaires disponibles, non seulement pour protéger l’intégrité de l’aide, mais aussi pour instaurer la confiance entre les donateurs et les parties prenantes locales. Certes, ces mesures peuvent nécessiter une formation supplémentaire à tous les niveaux pour ceux qui sont habitués à des systèmes de gestion plus traditionnels. Mais si elles sont mises en œuvre correctement, elles peuvent jeter les bases de systèmes plus pratiques et plus collaboratifs, cogérés par les communautés locales et les partenaires de développement.
Il convient ici de rappeler une évidence : ces interventions doivent être menées en parallèle et non en remplacement de l’aide d’urgence, qui peut être essentielle pour répondre aux besoins humanitaires vitaux lors de la survenance d’un CAG.
Après la prise de pouvoir des Taliban en Afghanistan, le PNUD s'est concentré sur le maintien des moyens de subsistance et la continuité des services essentiels. Le renforcement de l'aide apportée par les ONG locales et les organisations de la société civile a également contribué à développer les moyens et les systèmes locaux.
Repenser le répertoire d'action habituel
La menace mondiale imminente d’une multiplication des CAG et de leurs effets à long terme justifie de repenser la continuité du développement en période de bouleversements politiques. Dans la région Asie-Pacifique, qui devrait représenter 90 % de la croissance mondiale de la classe moyenne au cours de la prochaine décennie, toute secousse géopolitique aura inévitablement des répercussions sur tous les aspects, des tendances économiques mondiales à la dynamique des marchés locaux interconnectés. En adoptant une approche pragmatique face aux CAG, la communauté internationale peut enrayer les pertes en matière de développement, limiter les répercussions négatives sur la coopération régionale et mondiale et renforcer les fondements de la résilience future. Et même la paix.
Le récent tremblement de terre qui a frappé le Myanmar a causé des ravages dans des régions telles que Sagaing et Mandalay, laissant des millions de personnes dans un besoin urgent d’aide à court et à long terme. Il a également rappelé avec force les défis considérables que représente l’aide à un pays déjà fracturé par les bouleversements politiques et les conflits en cours. L’ampleur même de la catastrophe nécessite une réponse internationale rapide et substantielle pour permettre la reconstruction, mais la fragmentation du paysage politique constitue un obstacle redoutable.
Avec le contrôle du territoire contesté et la légitimité administrative remise en question à la suite du changement de gouvernement anticonstitutionnel de 2021, les mécanismes mêmes de coordination et de fourniture de l’aide, garantissant un accès équitable à toutes les communautés touchées et établissant des canaux clairs pour les demandes et le soutien à la reconstruction, sont empreints d’incertitude. À une époque où les budgets de l’aide publique au développement (APD) sont réduits et où l’actualité est souvent détournée par d’autres crises urgentes, les méthodes traditionnelles d’aide après une catastrophe pourraient s’avérer gravement insuffisantes, voire inadéquates. Les efforts vitaux de relèvement rapide et l’aide directe et soutenue au développement doivent atteindre toutes les personnes touchées si l’on veut que la reconstruction ouvre finalement la voie à une paix durable.
L’engagement indéfectible du PNUD à poursuivre ses efforts de développement face aux chocs reflète le mandat et le code de notre organisation en matière de développement humain. Alors que nous naviguons dans un paysage mondial de plus en plus tendu, nous considérons que la protection du développement humain est un objectif aussi louable que celui de l’intégrité constitutionnelle. Nous espérons que nos partenaires internationaux partagent ce point de vue et qu’ils accompagneront leurs mesures audacieuses de ressources flexibles afin d’investir directement dans les capacités et la résilience des communautés lorsque des difficultés surviennent. Ensemble, nous pouvons contribuer à briser les cycles d’instabilité et de vulnérabilité afin de faire progresser le développement humain et de réduire ainsi la probabilité de futurs CAG.