Qu’avons-nous appris des données sur la gestion des déchets solides au niveau des mairies en Haïti ?

Par Pierre ANTOINE, Responsable d’expérimentation AccLab Haïti

2 août 2022

Photo: PNUD Haiti

Le laboratoire d’accélération du PNUD Haïti a mené une enquête sur l’étendue du territoire national sur la gestion des déchets solides. Dans le but de donner une idée de la portée de ce travail, celui-ci couvre une superficie de 27500 kilomètres carrés et occupe le tiers (1/3) oriental de l’ile partagée avec la République Dominicaine. Administrativement, il comporte 10 départements, 146 communes et 571 sections communales. C’est au travers de ce territoire que l’équipe du laboratoire d’accélération du PNUD Haïti tente d’analyser la problématique de gestion des déchets en vue de proposer des éléments de solutions.

Entre autres, les mairies, par leur importance en matière d’hygiène et d’assainissement dans les communes, ont été une cible incontournable. Dans l’ensemble, 138 communes (95%) ont répondu à cette enquête.    

  • Ce que nous ont appris les données d’enquête sur les déchets solides

Numériquement, notre population statistique (138 mairies) se fait représenter par 118 hommes (86%) et 20 femmes (14%). Nos généreux/ses participants/es détiennent, dans la majeure partie des cas, des postes clés au sein des mairies. Ils/elles peuvent être soit directeurs/directrices ou maires/mairesses. Cela témoigne donc de la qualité de nos données.

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a)    Panorama de la gestion des déchets solides dans les communes

La gestion des déchets solides représente un défi majeur pour les mairies. Depuis les ateliers de recherches de sens (en juillet 2021), les responsables des mairies ont été très promptes à témoigner de leur manque de ressources matérielles, financières et humaines pour une gestion appropriée des déchets solides. Les données de l’enquête ne font que renforcer ce point de vue. En effet, près de 80% des participants/tes à l’enquête estiment que les mairies ne sont pas assez équipées pour une bonne gestion des déchets solides (figure ci-contre). Cette information rejoint, entre autres, la déclaration du maire principal (M. Wilson Jeudy) de la mairie de Delmas, une des rares mairies ayant des initiatives en cours en matière de gestion des déchets solides. Celui-ci avait déclaré que certains de ses homologues n’ont pas d’assiettes fiscales et sont incapables d’acquérir même des équipements légers tels que les pelles, brouettes, râteaux, machettes etc. qui pourraient servir dans les travaux d’assainissement et de nettoyage. Par conséquent, ces derniers souvent l’appellent pour solliciter son support. Autre aspect du dénuement des mairies en Haïti peut être perçu dans leur mode de gestion des déchets solides. En d’autres termes, la pratique la plus courante observée à partir de l’enquête demeure le brulage à l’air libre et le déversement dans des terrains sauvages. Les enquêtes révèlent une absence totale d’activités dans le domaine du tri et de la valorisation des déchets solides collectés. Dans la suite logique de ces argumentations, une appréciation générale de la situation caractéristique des mairies avec des données et des visualisations est accessible ici. Par ailleurs, il est à noter qu’une plus grande capacité budgétaire et la détermination de dépasser des pratiques traditionnelles nuisibles à l’environnement dynamiseraient la quête de nouvelles solutions. 

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b)    Participation citoyenne et sensibilisation

La participation citoyenne fait défaut en matière de gestion des déchets solides. En revanche, nos focus-groupes et rencontres communautaires indiquent une certaine maitrise de la problématique des déchets solides et leur potentiel méfait sur la santé humaine. Généralement, durant ces échanges qui incitent au débat, il y a toujours quelqu’un qui se fait remarquer par un niveau élevé de connaissances en la matière. Néanmoins, ces interventions vont souvent à l’encontre des comportements les plus observés dans les communautés comme le brulage à l’air libre ou le déversement dans les champs inoccupés. Eu égard aux tas d’immondices rencontrés çà et là dans les centres urbains du pays, aussi concluons-nous que ces connaissances ne profitent pas vraiment à l’hygiène et l’assainissement. 

Les données de l’enquête y vont dans le même sens et traduisent un déficit en termes de participation et/ou d’engagement citoyen dans la gestion des déchets solides comme en témoignent les deux graphes ci-dessous. Ces données et notre observation sur le terrain font ressortir un dilemme : (1) les connaissances que peut avoir une communauté sur un problème donné vs (2) l’action ou l’initiative visant à le solutionner. Dans cet ordre d’idées, il serait alors nécessaire de lancer de nouvelles initiatives visant à améliorer l’engagement ou la motivation du citoyen.

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  • Ce que les données ne disent pas et qui a été remarqué par les enquêteurs/trices

Haïti connait, pendant les trois dernières décennies, une crise politico-institutionnelle qui se traduit aussi au niveau des administrations municipales (communales). Les mandats des maires élus sont arrivés à termes, il y a deux ans et demi, soit en janvier 2020. En juillet de la même, le gouvernement central, par arrêtés présidentiels, a nommé les commissions municipales qui assurent le vide laissé par la fin des mandats des maires au niveau des mairies. Depuis lors, le retard dans la tenue des élections aggrave la situation de ces administrations.


a)    Conséquences immédiates pour la gestion des déchets solides
D’après les témoignages de nos enquêteurs/trices déployés/es sur le terrain, les travaux d’assainissement et d’hygiène au niveau dans certaines communes n’existent que sur le papier. L’équipe du laboratoire a fait des observations similaires lors de ses visites de supervision de l’enquête. 
Par ailleurs, notre passage dans les mairies a été l’occasion pour les agents intérimaires de soulever certains problèmes qui entravent le fonctionnement des mairies. Par exemple, à côté du manque d’équipements déjà abordés, les employés.es des mairies ne perçoivent pas leur arriéré de salaires depuis plus de deux ans, ce qui contribue à la création d’une atmosphère non propice à l’innovation. 


b)    Crise de gouvernance locale
Les enquêteurs/trices ont rapporté également la fermeture d’environ de 10% des  mairies au moment de l’enquête. La majeure partie de ces mairies, 9 au total (Borgne, Port Margot, Milot, Acul du Nord, Sainte Suzane, Caracol, La Victoire, Dondon, Ranquite) se trouve dans le Nord du pays. De plus, les mairies de l’Ile à Vache (Sud), de Fonds Verrettes (Ouest) et de Grande Saline (Artibonite) ont présenté le même cas de figure. Dans ces conditions, certains/es enquêteurs/trices ont dû prendre des rendez-vous dans des endroits autres que les mairies pour recueillir les informations tandis que d’autres n’ont trouvé personne sur place pouvant fournir ces données. Il s’agit, du coup, d’une crise de la gouvernance locale susceptible d’aggraver la problématique de gestion des déchets solides  ainsi que toute collecte de données cherchant à approfondir la compréhension du phénomène.

Notre enquête sur leur gestion des déchets solides à l’échelle nationale fait ressortir d’énormes lacunes qui sont aggravées par une crise politico-institutionnelle qui perdure depuis plus de deux ans. L’absence d’engagement citoyen, au milieu de ces crises institutionnelles, complique encore davantage le travail des administrations communautaires déjà entravé par les manques des ressources face à l’énormité des besoins dans les communes.
Laboratoire d'Accélération d'Innovation Haïti

Conclusions
La responsabilité première de la gestion des déchets solides dans les centres urbains revient aux mairies sans, toutefois, négliger les rôles d’appui que peuvent jouer entités gouvernementales, les ONG (Organisations Non-Gouvernementales), les OCB (Organisations Communautaires de Base) et les agences onusiennes.  Notre enquête sur leur gestion des déchets solides à l’échelle nationale fait ressortir d’énormes lacunes qui sont aggravées par une crise politico-institutionnelle qui perdure depuis plus de deux ans. L’absence d’engagement citoyen, au milieu de ces crises institutionnelles, complique encore davantage le travail des administrations communautaires déjà entravé par les manques des ressources face à l’énormité des besoins dans les communes. 

En conséquence, les mairies, dans leur état actuel, montrent un dynamisme assez limité en termes d’initiatives et d’innovations en matière de gestion des déchets solides qui pourrait faire l’objet d’expérimentation et de mise à l’échelle. Toutefois, l’accueil chaleureux reçu par les enquêteurs/trices et la forte participation des agents intérimaires à l’enquête témoignent à la fois de la curiosité et de la volonté de ces derniers d’aborder cette problématique sous d’autres angles.