Éliminer l’impunité de la violence envers les femmes et les filles : Une urgence pour Haïti

Par Nick R. Hartmann, Représentant résident du PNUD pour Haïti

9 décembre 2022
Photo: UNDP

Chaque année, l’Organisation des Nations Unies et ses partenaires lancent à travers le monde les 16 jours d’activisme contre les violences à l’égard des femmes qui débute le 25 novembre et termine le 10 décembre qui marque la Journée internationale des droits humains. La violence à l’égard des femmes est la violation des droits humains la plus répandue dans le monde. Ce rendez-vous annuel initié en 1991 constitue un moment privilégié pour les acteurs étatiques et de la société civile des Etats membres, de faire l’évaluation des actions accomplies et de bâtir un agenda commun pour l’éradication de la violence faite aux femmes et aux filles (VFFF) à l’horizon 2030. Cette campagne globale est célébrée cette année sous le thème « Tous Unis ! l’activisme pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles ! ».

La commémoration de cette année est une occasion pour le Programme des Nations Unies pour le développement, à travers l’Initiative Spotlight, programme généreusement soutenu par l’Union Européenne, de placer le projecteur sur l’impunité qui persiste dans le pays face aux violences faites aux femmes et aux filles. La source de cette impunité repose sur plusieurs éléments clés, entre autres, un cadre légal insuffisant pour pénaliser toutes les formes de violences à l’égard des femmes, la stigmatisation sociale, la crainte de représailles de la part des auteurs, le manque de confiance des victimes dans les institutions judiciaires et les défis structurels liés à l’incapacité de la police et de la justice pour protéger effectivement les femmes victimes de violence et responsabiliser les auteurs. Ces facteurs se conjuguent pour créer des niveaux alarmants de violence et d’impunité.

La prévalence de la VFFF en Haïti est en effet très élevée : 29 % de femmes et filles de 15 à 49 ans sont victimes de violences physiques. Dans 45 % de cas, c’est le partenaire intime qui exerce la violence. A peine 24 % des femmes ayant subi des violences physiques ou sexuelles ont déclaré avoir recherché de l’aide et seulement 11 % l’ont fait auprès de la police. Ce faible niveau de dénonciation, particulièrement dans le contexte conjugal et familial ou des violences sexuelles, sous-entend que la vraie ampleur de la violence faite aux femmes est bien plus grave et largement sous-estimée par les données disponibles. Mais surtout, montre que la majorité des cas ne sont jamais signalés à la justice et restent donc impunis.

Le contexte d’insécurité que vit le pays au cours de ces 5 dernières années marquées par le phénomène dit « pays lock », la COVID 19 et l’occupation de plusieurs coins du territoire par les gangs armés, ont augmenté de manière alarmante soit les violences au foyer, soit les violences sexuelles faites aux femmes et les filles. Quant à la violence sexuelle, en l’absence de données systématiques et fiables, des cas spectaculaires donnent une idée sur l’ampleur de la violence faite aux femmes. Il est rapporté que 10 femmes, ainsi qu’une mineure de 15 ans incarcérée, ont été victimes de viols collectifs dans la nuit du 7 au 8 novembre 2019 dans la prison des Gonaïves.
Plus près de nous en 2022, le RNDDH fait état de viols collectifs et répétés sur 52 femmes et filles dans les violences des gangs armés rivaux, qui ont éclaté du 7 au 17 juillet 2022, à Cité Soleil. Le récent rapport du Haut-Commissariat des Droits de l’Homme et le BINUH sur ce phénomène soulignent que l'impunité reste la norme pour la grande majorité des cas de violences sexuelles perpétrées par des gangs.

Toutefois, le pays déploie beaucoup d’efforts pour s'attaquer à ces défis. Ces dernières décennies, une série de réformes législatives ont renforcé le régime de répression des agressions sexuelles.  De grands efforts ont été entrepris par le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF) avec des organisations féministes pour doter le pays d’une loi-cadre sur la VFFF. D’autres initiatives ont visé la refonte du Code pénal et du Code de procédures pénales pour aussi renforcer le système de protection des femmes et des filles contre la violence introduisant de nouvelles infractions tel le harcèlement sexuel et des mesures pour la protection des victimes et témoins. Le PNUD assistera l’état haïtien et les partenaires dans la mise en place des codes et favorisera le dialogue relativement aux positions parfois divergentes qu’ils suscitent.

Le pays a progressé dans l’adoption d’un plan national de lutte contre les violences à l’égard des femmes promu par le MCFDF. Des efforts se font aussi pour renforcer la police, le système judiciaire et par l’établissement des bureaux d’assistance légale. Mais d’importantes lacunes persistent.

Compte tenu du large éventail de défis auxquels sont confrontées les victimes pour obtenir justice et réparation, le soutien aux autorités et à la société haïtiennes dans l'accomplissement de leurs obligations est essentiel. Dans ce cadre, le PNUD fait quatre appels à l’action :

Premièrement, le PNUD fait appel à la mobilisation des acteurs en vue de l’adoption d’une loi sur les VFFF, la réforme du cadre légal visant l’élimination de la VFFF, et la mise en place d'un pôle judiciaire spécialisé pour lutter contre les crimes de violence sexuelle. L’Initiative Spotlight continuera à soutenir le gouvernement et la société civile dans la promotion de ces réformes.

Deuxièmement, le PNUD encourage l’intégration de l’assistance légale pour les victimes de VFFF dans les services des Bureaux d’Assistance Légale qui s’établissent dans le pays sous la coordination du Conseil National d’Assistance Légale. Le renforcement des magistrats du secteur judiciaire en matière de VFFF est aussi crucial pour combattre l’impunité et la confiance des victimes dans l’appareil judiciaire. Nous réaffirmons notre soutien continu pour accompagner le pays dans ce travail notamment au niveau communautaire avec les juges de paix. Le programme de gestion informatisé des cas judicaires (GICAJ) sera bonifié notamment afin de retracer dans les tribunaux les cas de violences sur le genre.
 
Troisièmement, le PNUD fait appel à l’État haïtien et aux partenaires de développement de redoubler les efforts pour renforcer les capacités de la Police Nationale d’Haïti pour répondre aux violences conjugales, familiales et sexuelles, y compris l’amélioration de la coordination entre les unités de la PNH travaillant sur la violence sexuelle, les VBG, la protection des mineurs et les enlèvements. Ce front sera une priorité pour l’Initiative Spotlight.

Quatrièmement, il faut augmenter les efforts de sensibilisation des institutions et des communautés pour éliminer la stigmatisation des victimes au lieu des agresseurs et créer un environnement où les victimes ont plus de confiance à porter plainte et à dénoncer les violences de tous types.

Le PNUD renouvelle son engagement, aux côtés des agences participantes au programme de l’Initiative Spotlight et des Nations Unies pour poursuivre l’accompagnement des acteurs haïtiens dans ce travail.

Le PNUD encourage tous les acteurs à se joindre à ces efforts. Il faut accélérer la rupture de ce cycle de violence et d’impunité afin d’avancer vers une société de paix et d’harmonie en rejetant la violence sous toutes ces formes, condition essentielle pour le progrès social et le développement durable d’Haïti !

Les survivantes de violences en Haïti méritent la justice et rien de moins.