Transition de la justice congolaise : l’alliance ONU–Suède au service de l’État de droit

20 août 2025
A group of officials and workers discuss plans next to a construction site, with a detailed map.

Le Chef de l'Etat Felix-Antoine Tshisekedi visite le nouveau Palais de Justice du Tanganyika

Photo PNUD-RDC

La volonté politique exprimée par le Président de la République démocratique du Congo a placé la justice au rang de priorité nationale, en l’inscrivant comme levier central de l’État de droit et condition de la gouvernance démocratique. Dans cette perspective, la Suède, forte de sa tradition d’appui aux droits humains, à l’égalité et à la démocratie, a choisi d’accompagner ce chantier en partenariat avec les Nations Unies. De son côté, le PNUD, qui assure depuis plusieurs décennies un rôle de catalyseur stratégique aux côtés du Gouvernement congolais, continue de mobiliser son expertise, ses ressources et son expérience pour transformer la justice en un pilier tangible de paix et de développement.

La justice apparaît ainsi non pas comme un secteur isolé, mais comme une infrastructure institutionnelle de la République, condition sine qua non pour réaliser les Objectifs de Développement Durable (ODD), en particulier ceux liés à la paix, à la réduction des inégalités, à l’égalité des genres et à la construction d’institutions fortes.

Sous l’impulsion conjointe des Représentants résidents des agences des Nations Unies — avec le PNUD en chef de file —, de l’Ambassadeur de la Suède, et des Ministres d’État en charge de la Justice et Garde des sceaux, ce processus a su impliquer directement les plus hautes autorités judiciaires. Le Président de la Cour constitutionnelle, le Président du Conseil d’État et le Procureur près la Cour de cassation y ont pris une part active, garantissant un ancrage institutionnel fort et inédit.

Cette rencontre d’expertises, de diplomatie et de responsabilités politiques a permis de consolider une dynamique nouvelle où la justice n’est plus perçue comme une abstraction normative, mais comme le socle incontournable de la gouvernance démocratique et de la confiance citoyenne.

Modern white building under construction, surrounded by open land and vehicles.

Le nouveau Palais de Justice du Tanganyika construit grâce au Fonds suédois

Photo PNUD-RDC

En République Démocratique du Congo (RDC), la justice constitue un champ névralgique où se joue à la fois la crédibilité de l’État, la protection des droits fondamentaux et la consolidation de la paix. Entre 2020 et 2024, la mise en œuvre du Programme conjoint des Nations Unies d’appui à la réforme de la justice, avec un soutien financier et politique déterminant de la Suède, a permis de franchir une étape décisive. Coordonné par le PNUD, la MONUSCO et le BCNUDH, ce programme s’est inscrit dans une approche intégrée, multisectorielle et transformationnelle.

Au-delà d’un simple appui technique, il s’agit d’une expérience de réforme structurelle qui a contribué à renforcer le cadre légal, améliorer la redevabilité, rapprocher la justice des citoyens, transformer la gestion pénitentiaire, introduire la digitalisation et stimuler la demande citoyenne de justice. À travers cette initiative, les partenaires ont démontré qu’il est possible de dépasser le registre du discours sur l’État de droit pour en incarner les principes dans la vie quotidienne des Congolais.

Gouvernance judiciaire et cadre légal

La RDC souffrait de profondes lacunes normatives et institutionnelles qui fragilisaient l’État de droit. Le programme a donc soutenu un ensemble de réformes législatives qui ont donné naissance à six lois majeures : protection des défenseurs des droits humains, droits des peuples autochtones pygmées, prévention de la traite des personnes, reconnaissance des droits des personnes vivant avec handicap, réforme pénitentiaire et reconnaissance des victimes de violences sexuelles liées aux conflits. Ces textes ont marqué une avancée décisive pour la consolidation d’un cadre légal protecteur et inclusif, notamment à l’égard des groupes les plus vulnérables.

Portées par un dialogue politique de haut niveau, auquel la Suède a pris part activement, ces réformes ont ouvert la voie à une nouvelle stratégie nationale 2025–2035, plus cohérente, budgétisée et orientée résultats. Elles s’accompagnent du renforcement du Conseil supérieur de la magistrature et de la Cour constitutionnelle, qui se sont dotés d’outils modernes, d’une meilleure autonomie budgétaire et d’une gouvernance plus crédible.

Redevabilité institutionnelle et lutte contre l’impunité

La méfiance envers la justice congolaise était largement alimentée par l’absence de contrôle effectif et l’impunité persistante. Le programme conjoint a permis de créer l’Inspection Générale des Services Judiciaires et Pénitentiaires, renforçant ainsi la capacité de sanction et de régulation du système. La relance des chambres disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature a conduit à l’examen de près de 300 dossiers et à la formation de centaines de magistrats à l’éthique et à la déontologie.

En parallèle, la lutte contre l’impunité des crimes graves a connu des avancées notables. Quatre-vingt-huit dossiers liés aux crimes internationaux, dont une majorité relative aux violences sexuelles, ont été instruits, et dix-neuf jugés, permettant à plus de 1 700 victimes d’accéder à la justice et à des réparations. Les audiences foraines organisées dans plusieurs provinces ont également rapproché la justice des citoyens, désengorgé les prisons et réduit les détentions préventives abusives. Cet ensemble d’actions a posé les bases d’une culture de responsabilité et de transparence, au cœur de la crédibilité du secteur.

Une justice de proximité et accessible

Rapprocher la justice des communautés est apparu comme une condition essentielle d’équité. Le programme a financé la réhabilitation ou la construction de dix-huit infrastructures judiciaires et pénitentiaires, dont le Palais de justice de Kalemie et le Tribunal de paix de Nyunzu. Ces investissements ont réduit les distances d’accès, amélioré les conditions de travail et sécurisé les procédures, renforçant ainsi la légitimité de l’État dans des zones souvent délaissées.

Le gouvernement congolais a reconnu le Palais de justice de Kalemie comme un modèle à dupliquer, preuve que les acquis du programme ont été intégrés dans la planification nationale. En associant la Suède et les agences des Nations Unies à la visibilité de ces réalisations, le programme a consolidé la perception d’une justice publique et partagée.

Réforme pénitentiaire et dignité retrouvée

Le système carcéral congolais, longtemps synonyme de surpopulation et d’indignité, a été réorienté vers une logique de réinsertion. Une cartographie complète des établissements a été réalisée, des agents formés et des fermes pénitentiaires implantées à Luzumu et Kananga. Ces lieux de détention ne sont plus uniquement des espaces de privation de liberté mais deviennent des centres de formation professionnelle, de production alimentaire et d’apprentissage de métiers. À Luzumu, la mise en place d’une boulangerie, d’une bibliothèque et de deux cycles agricoles illustre cette mutation profonde.

Ces initiatives ont été consolidées par une stratégie nationale de réinsertion socio-économique validée par le ministère de la Justice, plaçant la dignité humaine et la préparation à la réintégration sociale au cœur de la politique carcérale.

La justice numérique : un tournant structurant

L’innovation la plus marquante de la période 2020–2024 demeure la digitalisation du secteur judiciaire. Dans un contexte marqué par la gestion manuelle et les pertes de dossiers, quatre systèmes numériques ont été introduits : SIGMA pour la gestion des magistrats, SIGAJ pour la gestion des affaires judiciaires, SIGE pour les écrous et SIGCJ pour le casier judiciaire.

Ces outils ont permis d’enregistrer plus de 6 600 magistrats, de tracer plus de 45 000 dossiers de détenus et de numériser plus de 15 000 archives du casier judiciaire. Ils améliorent la transparence, réduisent les falsifications et facilitent l’accès aux données fiables. Surtout, ils instaurent une nouvelle culture administrative : les affectations sont désormais automatisées, les fautes disciplinaires détectées, et les carrières des magistrats suivies avec rigueur.

Ce processus a été formalisé par des décisions officielles du Conseil supérieur de la magistrature, rendant l’usage du SIGAJ obligatoire et créant une Cellule informatique et de transformation digitale. Loin d’être un simple projet pilote, la digitalisation est désormais intégrée comme une politique institutionnelle, garantissant la durabilité des acquis et ouvrant la voie à une justice congolaise fondée sur les données.

Infrastructures, savoirs et capacités : bâtir une justice crédible et moderne

Le PNUD a choisi d’investir de manière concrète dans l’amélioration des conditions de travail des acteurs judiciaires, afin de donner à la réforme de la justice une assise matérielle solide. L’une des réalisations phares est la construction et l’équipement du Palais de justice de Kalemie, conçu comme une plateforme de services intégrés. Ce bâtiment moderne concentre en un même lieu différentes juridictions et services administratifs, facilitant l’accès des citoyens à la justice tout en offrant aux magistrats et greffiers des conditions de travail dignes et fonctionnelles.

Group of people in formal attire standing in front of the INAFORJ building entrance.

Des formations judicaires ont été organisées à Kinshasa et en province grâce à l'appui technique et financier du PNUD et de la Suède

Photo PNUD-RDC

Dans la même logique, le PNUD a mis à disposition des fonds documentaires destinés à constituer une bibliothèque spécialisée pour les magistrats. Cet investissement, modeste en apparence mais stratégique, contribue à élever le niveau de connaissance et de réflexion des praticiens du droit en leur donnant accès à des ressources juridiques et scientifiques actualisées. Il répond à une lacune structurelle : l’insuffisance d’outils de documentation et de recherche qui limitait la capacité des magistrats à actualiser leurs compétences dans un environnement juridique en constante mutation.

Ces initiatives viennent compléter les programmes de renforcement des capacités déjà engagés : formations continues, ateliers pratiques, sessions de sensibilisation aux droits humains et à la déontologie. Ensemble, elles traduisent une approche intégrée qui vise non seulement à améliorer l’efficacité de la chaîne pénale, mais aussi à inscrire la justice congolaise dans une dynamique de professionnalisation durable et de crédibilité institutionnelle.

Une demande citoyenne réactivée

Enfin, la réforme n’aurait pu être crédible sans l’implication directe des citoyens. Plus de 120 000 personnes ont été sensibilisées à leurs droits, 95 avocats mandatés pour offrir une assistance gratuite aux plus vulnérables, et des médiateurs communautaires formés aux mécanismes alternatifs de résolution des conflits. Ces actions ont réduit la justice populaire et favorisé une justice institutionnelle de proximité.

En valorisant les mécanismes communautaires, en soutenant les bureaux de consultations gratuites et en stimulant la participation civique, le programme a permis de restaurer progressivement la confiance entre l’État et ses citoyens.

 Une justice en transition

L’expérience 2020–2024 démontre qu’une transformation du système judiciaire congolais est possible lorsque l’appui international, incarné ici par la Suède et les agences des Nations Unies, converge avec la volonté nationale. Le pays dispose aujourd’hui d’acquis tangibles : un cadre légal modernisé, des mécanismes de contrôle crédibles, des infrastructures nouvelles, une prison réorientée vers la réinsertion, une justice digitalisée et une demande citoyenne plus active.

Ces résultats, bien que fragiles, constituent un socle sur lequel bâtir le prochain cycle 2025–2035. Le défi est désormais de consolider ces acquis et d’en amplifier les effets systémiques, afin que la justice devienne un véritable levier de paix, de cohésion sociale et de développement durable en RDC.

François Elika, Spécialiste Partenariat et Mobilisation