Femmes et changements climatiques en République du Congo

27 octobre 2023
© UNICEF Congo/2023/Zed Lebon

Par Elzevie Pascale Touloulou Moundele 

Le sommet des Trois Bassins, prévu du 26 au 28 octobre à Brazzaville, en République du Congo, se profile à l’horizon, annonçant un événement d’une importance cruciale dans la lutte aux changements climatiques. En les trois bassins tropicaux du monde ce sont : 720 millions d’hectares de couverts forestiers, 680 millions d’habitants et 1,2 milliards de tonnes de CO2 par an en termes de capacité de captation des gaz à effet de serre [1].

Pendant de nombreuses décennies, les leaders mondiaux ont organisé de multiples réunions et sommets en vue d'obtenir un consensus sur les questions climatiques. Cependant, malgré l'existence de l'Accord de Paris, les pays en développement, en particulier ceux situés dans les trois bassins tropicaux qui disposent de la plus grande capacité d'adaptation, rencontrent des difficultés pour assurer leur développement. Par conséquent, cet événement revêt une importance particulière, car il met en évidence l'urgence d'agir pour préserver la planète. Plus précisément, il souligne la nécessité de protéger les populations les plus vulnérables qui subissent directement les conséquences les plus graves des changements climatiques, ainsi que celles qui sont touchées de manière indirecte. Le sommet a pour objectif, entre autres, de promouvoir le soutien aux économies alternatives tout en cherchant à protéger les écosystèmes des trois bassins. De plus, il vise à améliorer des conditions de vie socio-économiques des populations, en mettant particulièrement l’accent sur les femmes et les jeunes. 

Étendue des effets des changements climatiques au Congo et impacts sur les femmes 

Selon les Nations Unies, les changements climatiques résultent de variations à long terme des données climatiques, dues aux émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion des combustibles fossiles depuis le 19e siècle. Cela provoque une hausse de la température terrestre de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels[2]. Les secteurs clés émetteurs sont l'énergie, l'industrie, les transports, la construction et l'agriculture. La décennie passée a été la plus chaude enregistrée, engendrant des phénomènes climatiques extrêmes avec des impacts importants sur la nourriture, l'eau, le logement, ainsi que des pertes en vies humaines et économiques, affectant le bien-être mondial. Cependant, certaines parties de la société sont plus vulnérables aux effets de la crise climatique[3].

 

Les femmes sont très vulnérables aux changements climatiques en raison de facteurs sociaux, économiques et culturels. Parmi les 1,3 milliard de personnes vivant dans la pauvreté, 70 % sont des femmes. En zones urbaines, 40 % des ménages les plus pauvres sont dirigés par des femmes. Bien qu'elles jouent un rôle majeur dans la production alimentaire (50 à 80 %), elles possèdent moins de 10 % des terres. Un rapport de la Conférence de Bonn sur les changements climatiques en 2022 souligne les impacts différenciés selon le sexe et le rôle crucial des femmes dans la lutte contre les changements climatiques[4]. Généralement, les femmes assument des rôles spécifiques, consacrant beaucoup de temps à diverses tâches. La vulnérabilité des femmes aux changements climatiques est également influencée par d'autres facteurs sociaux, comme le lieu de résidence, le revenu, l'éducation, l'ethnie et le handicap.

En République du Congo, les différences entre les rôles, les responsabilités et l'accès aux ressources entre hommes et femmes sont notamment marquantes. Les phénomènes climatiques, tels que les sécheresses et les inondations, réduisent la productivité des femmes, les obligeant à travailler davantage. Leur participation à la gestion des ressources naturelles est limitée.

Les femmes congolaises, surtout en milieu rural, rencontrent des obstacles économiques et sociaux qui limitent leur pleine participation à la vie productive. Bien qu'elles constituent 65% de la main-d'œuvre agricole au Congo, elles n'ont pas accès à des ressources ni à des terres de qualité[5]. Elles se concentrent principalement sur l'agriculture de subsistance et les petites exploitations destinées à la consommation locale et à l'économie non monétisée, les rendant plus vulnérables à la dégradation environnementale et à l'épuisement des ressources dues aux changements climatiques. Malgré leur importance dans les systèmes agroalimentaires, le rôle des femmes est souvent marginalisé, et elles occupent fréquemment des emplois informels, à temps partiel, peu qualifiés, avec une forte intensité de main-d'œuvre, les plaçant ainsi dans des situations vulnérables qui ne respectent pas les normes du travail décent de l'Organisation internationale du travail.

La population congolaise est vulnérable aux changements climatiques en raison de menaces politico-économiques, de la pauvreté persistante, de la gouvernance faible des ressources naturelles et des troubles civils. Préserver les écosystèmes naturels est essentiel pour soutenir le développement, atténuer les impacts des changements climatiques et offrir des opportunités d'adaptation aux groupes vulnérables, y compris les femmes et les jeunes[6]. Selon la Banque Mondiale, les changements climatiques auront un impact majeur sur l'agriculture en République du Congo, touchant principalement les femmes qui possèdent des terres de mauvaise qualité et ont un accès limité aux technologies d'adaptation.

Le dernier rapport de la Banque mondiale sur le Congo recommande que le pays mette en place des mesures visant à s'adapter aux défis et à renforcer sa capacité de résilience afin de renverser la tendance de la croissance économique négative. Il met en évidence l'importance d'accorder une attention particulière aux femmes, pour qu'elles puissent se positionner dans de nouveaux secteurs porteurs tout en surmontant les obstacles spécifiques auxquels elles sont confrontées. Ces obstacles sont liés à des aspects sociaux et aux pratiques de subsistance, à leur faible capacité à s'insérer sur le marché du travail, à l'échange de biens, de services et de travaux[7].

Le rôle des femmes dans l’atténuation des conséquences climatiques

Les changements climatiques touchent différemment les individus en raison d'inégalités liées au genre, à la localisation, aux revenus et à d'autres facteurs sociaux. Les femmes jouent un rôle crucial dans la lutte contre les changements climatiques pour plusieurs raisons.

Premièrement, pour atteindre l'objectif de l'Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, il est essentiel de mobiliser 100% de la population, ce qui nécessite une plus grande participation des femmes aux sphères décisionnelles. Des études montrent que les pays avec une forte représentation des femmes au parlement sont plus enclins à ratifier des traités environnementaux[8].

Deuxièmement, l'autonomisation des femmes conduit à des solutions climatiques plus efficaces, en particulier dans l'agriculture, où les femmes représentent une part significative de la main-d'œuvre. Lorsqu'elles ont un accès équitable aux ressources, les femmes peuvent augmenter la productivité agricole, contribuant ainsi à réduire la faim dans le monde et à lutter contre la pauvreté. Cette augmentation de la productivité améliore non seulement la production agricole totale de 2,5 à 4%, mais elle peut également contribuer à réduire la faim dans le monde de 12 à 17%, selon les Nations Unies[9].

Troisièmement, la participation des femmes est cruciale pour renforcer la résilience climatique au sein des communautés. Elles jouent un rôle clé dans la réponse aux catastrophes naturelles, les efforts de réduction des risques de catastrophe et la construction de la résilience communautaire.

En favorisant l'autonomie des femmes et en les impliquant dans la planification et la réponse aux changements climatiques (dans les entités décentralisées de base, au niveau municipal et au niveau national), il est possible de construire des communautés plus robustes et mieux préparées aux défis climatiques.

Renforcer la résilience des femmes et libérer leur potentiel contribuera à accélérer la mise à disposition des solutions efficaces aux défis climatiques en République du Congo.

L’engagement environnemental congolais 

 

Le gouvernement de la République du Congo a pris diverses mesures pour lutter contre les changements climatiques, notamment une stratégie nationale de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la protection des forêts via la création d'aires protégées, et des investissements dans les énergies renouvelables telles que l'hydroélectricité, le solaire, et l'éolien. Un service d'information sur le climat a également été instauré pour aider les communautés à s'adapter aux changements climatiques en fournissant des données météorologiques précises[10].

Cependant, les efforts pour intégrer des éléments transversaux, tels que la gestion des risques liés au genre et aux changements climatiques, dans la planification du développement et le suivi des programmes d'investissement sont récents. Jusqu'à présent, seuls quelques secteurs, comme l'agriculture, la foresterie et l'énergie, ont progressé dans cette intégration.

La République du Congo a révisé sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN), avec un engagement renforcé envers la réduction des émissions et l'adaptation aux changements climatiques. Cette révision tient compte de considérations liées aux droits de la personne, à la santé, aux droits des peuples autochtones, à l'égalité des sexes et à l'autonomisation des femmes[11].

Néanmoins, l'intégration du genre dans les politiques nationales reste principalement axée sur l'amélioration de l'efficacité des processus et des résultats, plutôt que sur le respect des obligations liées aux droits. De plus, cette approche ne prend pas en compte des facteurs tels que l'âge et la classe sociale. Les politiques nationales demeurent fragmentées et sectorielles, ce qui rend difficile une intégration systématique de la dimension de genre dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Il est essentiel de passer d'approches axées sur des projets spécifiques pour les femmes à des politiques étroitement liées aux stratégies nationales de lutte contre les changements climatiques et d'égalité des sexes. Il est encore difficile d’avoir un système d’analyse des performances de politiques et stratégies sectorielles pour mettre en exergue les avancées structurelles en matière d’égalité et équité genre. 

Égalité des sexes et climat : l’appel à l’action 

Les bouleversements climatiques sont un défi majeur pour l’avenir du Congo, impactant significativement les femmes, qui jouent un rôle essentiel en tant que gardiennes de nos ressources et écosystèmes. Cependant, leur expertise est souvent sous-estimée dans les décisions environnementales. Les plateformes pour donner place à leur voix dans le domaine du climat sont à concevoir. 

Pour surmonter ce défi, il est crucial de reconnaître leur vulnérabilité spécifique et de promouvoir l'égalité des sexes, leur participation accrue, l'investissement dans des solutions durables, la sensibilisation à leurs problèmes et la reconnaissance de leur rôle vital.

Il est essentiel d'améliorer leur accès aux ressources, notamment la terre, le capital, le savoir-faire et la technologie. L'inclusion des femmes dans tous les domaines liés aux ressources naturelles peut accélérer la réalisation des objectifs nationaux de développement. De plus, il est nécessaire de transformer les normes sociales responsables des inégalités en matière de restauration des écosystèmes, de préservation environnementale, de lutte contre les changements climatiques et de leurs conséquences. Cela peut impliquer la réduction des tâches domestiques, telles que la recherche d'eau et de bois de chauffage, ainsi que l'amélioration des conditions de travail pour les femmes, incluant même une nouvelle division du travail, des prérogatives ainsi que de la notion du pouvoir entre les hommes et les femmes.

Pour progresser ensemble, une collaboration entre divers intervenants, y compris les gouvernements, la société civile, le milieu universitaire, les médias, les populations affectées, les Nations Unies et le secteur privé, est nécessaire pour mettre en œuvre certaines mesures :

  • Sensibiliser et promouvoir l'égalité des sexes comme moteur de changement dans les politiques climatiques, l’accès aux facteurs de production et la mise en œuvre des financements climatiques.

  • Investir dans des statistiques de genre de qualité, accessibles, régulièrement mises à jour et ventilées par sexe pour surveiller les progrès des femmes et des filles.

  • Renforcer la participation des femmes, y compris les femmes autochtones, les groupes locaux et les acteurs humanitaires, dans l'élaboration des politiques climatiques à tous les niveaux et dans tous les domaines : adaptation, atténuation et gestion des ressources.

  • Développer des politiques et des stratégies climatiques prenant en compte les impacts liés au genre, offrant aux femmes un accès aux ressources et des opportunités pour participer à l'atténuation et à l'adaptation.

  • Augmenter l'accessibilité des mécanismes de financement climatique pour les groupes locaux de femmes et les mouvements féministes.

  • Promouvoir des approches sensibles au genre pour le financement climatique.

  • Investir dans des technologies et initiatives renforçant les sources d'énergie durables et renouvelables reflétant les besoins et les rôles des femmes.

  • Prioriser l'accessibilité à l'énergie propre et la distribution de cuisinières à haut rendement énergétique pour les filles et les femmes.

  • Inclure les femmes dans l'élaboration de politiques et de stratégies environnementales, y compris la réponse aux catastrophes, le renforcement de la résilience, la garantie des droits fonciers et successoraux, l'accès à la nourriture et aux ressources, ainsi que la lutte contre la précarité énergétique.

Ensemble, nous pouvons créer un avenir équitable, résilient et durable en luttant contre les changements climatiques.

 

Unité Genre PNUD-Congo

Références

 

[1] Les trois bassins - Summit of the three basins (thethreebasinsummit.org)

[2] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/10/05/climat-2023-s-approche-dangereusement-de-la-limite-fixee-par-l-accord-de-paris_6192561_3244.html#:~:text=L'ann%C3%A9e%202023%20n'en%20finit%20pas%20de%20multiplier%20les,rapport%20%C3%A0%20l'%C3%A8re%20pr%C3%A9industrielle

[3] https://news.un.org/fr/story/2023/08/1137462#:~:text=De%20son%20c%C3%B4t%C3%A9%2C%20l'OMM,le%20sud%20de%20l'Europe

[4] https://unfccc.int/documents/494455

[5] https://unfccc.int/sites/default/files/NDC/2022-06/CDN_Congo.pdf

[6] https://unfccc.int/sites/default/files/NDC/2022-06/CDN_Congo.pdf

[7] https://womendeliver.org/investment/invest-women-tackle-climate-change-conserve-environment/

[8] https://unfccc.int/news/five-reasons-why-climate-action-needs-women#:~:text=By%20including%20more%20women%20in,and%20equitable%20future%20for%20all.&text=Women%20make%20up%20nearly%20half,by%2020%20to%2030%20percent.

[9] https://openknowledge.worldbank.org/server/api/core/bitstreams/db774c3e-b275-4a08-87a3-66c6116ee214/content 

[10] https://unfccc.int/sites/default/files/NDC/2022-06/CDN_Congo.pdf