Lors du Forum sur la Résilience de la Banque Africaine de Développement (BAD), du 1er au 3 octobre à Abidjan, auquel a participé le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), des solutions concrètes pour financer la paix et la résilience en Afrique ont été présentées pour transformer les régions dites « fragiles » en opportunités d’investissements durables.
De la fragilité à l’investissement : redéfinir le financement de la paix en Afrique
9 octobre 2025
Comment les marchés financiers peuvent-ils financer la paix et renforcer la résilience sur le continent africain ? Cette question a rythmé les échanges du Forum sur la Résilience organisé par la Banque Africaine de Développement (BAD), qui a réuni investisseurs institutionnels, partenaires au développement et représentants gouvernementaux.
Le « coût de la fragilité » : un frein à l’investissement en Afrique
Lors d’une des sessions, intitulée « Catalyser les marchés de capitaux pour financer la paix et libérer les opportunités d’investissement », Mme Blerta Cela, Représentante Résidente du PNUD en Côte d’Ivoire, a lancé un appel fort. « Le problème n’est pas le manque d’opportunités en Afrique, mais la manière dont le risque est perçu. Il faut changer la narration : passer de "fragile" à "investissable" », a-t-elle déclaré devant l’audience.
L’Afrique offre en effet des rendements sur les investissements directs étrangers (IDE) souvent supérieurs à ceux observés en Amérique latine ou en Asie. Pourtant, elle reste paradoxalement sous-financée. En cause : une prime de risque élevée, surnommée « prime de fragilité », qui augmente les coûts d’emprunt et dissuade les investisseurs.
Cette perception biaisée du risque, amplifiée par les méthodologies de notation de crédit, coûtent à l’Afrique 74,5 milliards de dollars par an en intérêts excessifs et en prêts non obtenus. Un manque à gagner quasi équivalent à son déficit annuel de financement des infrastructures africaines.
Pourtant, pour les investisseurs, l’Afrique ne devrait plus être une promesse lointaine : c’est un marché en pleine expansion, diversifié, jeune et innovant. Dans un contexte mondial en quête de nouvelles sources de croissance et de durabilité, le continent africain apparaît comme une évidence stratégique.
Une nouvelle approche: rendre la paix "bancable"
Ainsi, pour inverser cette tendance, plusieurs institutions dont la BAD et le PNUD, aident les pays à renforcer leur solvabilité en comblant les lacunes de données et en facilitant le dialogue avec les agences de notation. Des programmes sont en cours en Côte d’Ivoire, en Somalie et en Éthiopie pour améliorer la perception des investisseurs et ainsi faciliter l’accès aux marchés financiers.
Ces institutions soutiennent également la conception et l’émission d’instruments financiers innovants, tels que les obligations vertes, sociales ou bleues, qui permettent de financer des investissements durables. Le PNUD a par exemple appuyé le Mexique, qui est devenu en 2020 le premier pays au monde à émettre une obligation souveraine liée aux Objectifs de Développement Durable (ODD), et en Côte d’Ivoire, a accompagné l’émission d’un emprunt souverain de 2,6 milliards USD dont une partie a été labellisée « durable » ainsi que la conception d’une obligation bleue de 375 millions USD liée à des indicateurs de cohésion sociale et de prévention des conflits.
Enfin, cette agence des Nations Unies s’est engagée à développer des pipelines de projets bancables et à soutenir l’écosystème des jeunes et des PME, comme l’illustrent des programmes comme timbuktoo et UNIPOD, qui valorisent l’investissement dans la formation, l’innovation locale « Made in Cote d’Ivoire » et le financement des jeunes entrepreneurs.
Des résultats concrets : électrification, réformes et confiance des investisseurs
L’approche de financement mixte commence déjà à porter ses fruits. Dans le Sahel, le PNUD a aussi mobilisé 50 millions USD de capitaux privés pour déployer des mini-réseaux solaires, électrifiant 350 villages et touchant près d’un million de personnes. Par ailleurs, des cadres régionaux d’émission d’obligations de durabilité sont en cours d’élaboration pour renforcer la transparence et la confiance des investisseurs.
Avec des outils financiers adaptés, il a été démontré qu’il était possible de transformer les défis de la fragilité en opportunités d’investissement à impact, pour une Afrique résiliente et tournée vers l’avenir . « La fragilité n’est pas une fatalité. Avec les bons mécanismes financiers, la jeunesse africaine, ses ressources et sa résilience peuvent devenir la prochaine frontière d’investissement à mille milliards de dollars », a conclu Mme Blerta Cela.
Transformer la paix en opportunité bancable constitue donc une approche utile pour aligner stabilité et développement sur les logiques financières internationales, mais elle ne peut réussir que si elle s’accompagne de réformes structurelles, d’une gouvernance crédible, et d’une redéfinition des critères de solvabilité pour y inclure la paix, la cohésion sociale et la résilience.