Regardez dehors, il fait trop sombre à l'intérieur

Pourquoi la lutte contre la pollution plastique nous oblige à nous interroger

23 mai 2023
Picking plastic bottles

La pollution plastique étant causée par l’activité humaine, nous devons consacrer plus de temps et d’efforts à comprendre les comportements humains et ce qui peut les faire changer.

Un jour, Wayne Dyer a raconté cette histoire. Un homme perd sa clé de voiture dans son salon. Au même moment, une panne de courant plonge la maison dans le noir. L’homme fouille le salon en tâtonnant pour trouver sa clé dans l’obscurité, en vain. Il regarde par la fenêtre et constate que les réverbères de la rue sont toujours allumés. Il se dit alors : « Je ne trouverai jamais ma clé ; il fait trop sombre à l’intérieur, je devrais sortir et chercher dehors dans la lumière. » Il court donc dehors pour chercher la clé autour de sa voiture dans la rue. Son voisin l’aperçoit et lui demande s’il a besoin d’aide. Il répond qu’il a perdu sa clé de voiture. Ils la cherchent ensemble, toujours sans succès. Le voisin lui demande alors où il aurait bien pu la perdre. L’homme répond qu’il l’a perdue dans le salon. Le voisin lui demande alors pourquoi il la cherche dehors. L’homme lui répond : « Parce qu’il fait trop sombre à l’intérieur. »

Cette histoire illustre ma plus grande préoccupation s’agissant de la pollution plastique : pouvons-nous trouver des solutions pour lutter contre cette pollution si nous concentrons nos efforts dans la recherche de réponses aux mauvaises questions ?


La crise des plastiques : regarder dehors

« Le monde étant façonné pour répondre aux besoins d’Homo sapiens, des habitats ont été détruits, des espèces se sont éteintes. Jadis verte et bleue, notre planète se transforme en un centre commercial de béton et de plastique. »
Yuval Noah Harari dans « Sapiens, Une brève histoire de l’humanité »

Le plastique a jadis été présenté comme l’une des plus grandes inventions dans le domaine des matériaux. Adopté à grande échelle dans les années 1960, le plastique a depuis engendré un problème de pollution majeur. Une marée de déchets est en train de monter devant nos yeux et personne ne peut le nier. Selon une enquête de l’Economist, la pollution plastique constitue la principale menace pour la viabilité des océans.

De nombreux travaux ont été réalisés pour évaluer la situation de la pollution plastique, notamment des projections à partir de tendances observées en matière de production, d’usage et d’élimination. De plus en plus d’études scientifiques montrent que l’on trouve du plastique dans l’eau, dans la nourriture, dans le sang humain et même dans le placenta. Des recherches rigoureuses ont été menées sur les microplastiques et les nanoplastiques, et notamment sur l’usure des pneus de voiture qui est une source majeure de microplastiques. Nombre de documentaires et documents de sensibilisation ont été produits sur les ravages causés par les activités humaines dans les océans et sur leurs conséquences pour la vie marine.

Cette focalisation de la science sur la pollution plastique est essentielle pour apporter une aide au développement fondée sur des données factuelles et pour éclairer l’élaboration des politiques. Toutefois, si la pollution plastique est la conséquence de comportements humains, nous devons consacrer plus de temps et d’efforts à comprendre et à améliorer ces comportements et les actions sociétales par l’expérimentation et l’analyse.


Tourner son regard vers l’intérieur de soi
« Nous avons tendance à croire que même si les choses vont mal à l’extérieur, tout va bien à l’intérieur. Nous accumulons des souffrances et des conflits en nous. C’est une guerre qui se livre à l’intérieur de nous-mêmes. »
Thich Nhat Hanh dans « You Are Here »

Thalès a dit : « La chose la plus difficile dans la vie est de se connaître soi-même. » Malheureusement, nos travaux sur l’environnement et le développement se sont principalement concentrés sur des questions qui n’intègrent pas l’étude de la nature, des comportements et de la conscience des êtres humains. Comme dans l’histoire de Wayne Dyer, nous n’avons sans doute pas vraiment cherché à comprendre nos comportements et la conscience humaine, parce que c’est trop difficile. Pourtant, si le développement humain est notre objectif ultime, ne devrions-nous pas nous attacher à étudier, tester et faire évoluer nos comportements et notre conscience collective ? Même si la tâche est difficile, nous devons nous y mettre.

La planète Terre est apparue il y a 4,5 milliards d’années, bien avant l’espèce humaine et elle continuera d’exister encore longtemps lorsque les humains auront disparu. La nature a une très grande capacité à se régénérer sans intervention humaine. La crise environnementale que nous vivons est en fin de compte une crise de l’humanité. Nous devons nous pencher attentivement sur le fonctionnement de l’esprit humain, sur ce qui motive nos comportements et nos actions collectives et sur la manière de favoriser des relations bienveillantes entre les êtres humains et la nature. Avec quelques mesures simples, les professionnels du développement international peuvent être en première ligne pour induire ce changement d’orientation.

Élaborer et mettre en œuvre des initiatives pour changer les comportements 

Les spécialistes du comportement constatent depuis longtemps que la prise de conscience d’un problème ne débouche pas sur un changement de comportement. Des experts de la santé de l’université Harvard ont fait une expérience qui a montré que, pour amener des personnes à boire chaque jour un verre d’eau supplémentaire, il fallait constamment le leur rappeler et utiliser certaines techniques pendant deux mois avant que le nouveau comportement s’installe. Les habitudes sont à l’origine de nombreux comportements et il est extrêmement difficile de changer des habitudes. Nous devons impliquer des psychologues, des sociologues et des neuroscientifiques dans l’élaboration et la mise en œuvre d’initiatives destinées à changer les comportements pour mieux comprendre l’esprit, les comportements et la conscience des êtres humains.

Comprendre l'analyse de la hiérarchie des besoins humains et l'intégrer dans le travail sur l'environnement et le développement. 

La hiérarchie des besoins de Maslow est une théorie de la motivation selon laquelle cinq catégories de besoins humains dictent le comportement d’un individu. Ces catégories sont les suivantes : besoins physiologiques, besoin de sécurité, besoin d’amour et d’appartenance, besoin d’estime et besoin d’accomplissement. Dans une population qui peine à satisfaire ses besoins physiologiques fondamentaux, notamment l’alimentation et le logement, toute initiative visant à réduire la pollution plastique devra inclure des activités pour améliorer les moyens de subsistance. C’est pourquoi l’utilisation de matériaux traditionnels et locaux pour remplacer les plastiques issus de la production industrielle peut s’avérer efficace afin de réduire la pollution plastique tout en répondant aux problèmes de revenus des populations locales.

Le développement humain devrait être une question de bonheur et d'évolution de la conscience collective. 

Par le passé, les activités de développement international se concentraient uniquement sur le développement économique. D’ailleurs, les praticiens du développement sont souvent formés à l’économie. La notion de développement durable a été introduite pour ajouter les aspects environnementaux et sociaux à la dimension économique du développement. Avec le développement de la technologie et l’augmentation de la productivité, les sociétés humaines sont devenues plus riches que jamais, mais cela ne nous a pas rendus plus heureux pour autant. Une fois les besoins physiologiques fondamentaux satisfaits, le bonheur humain n’est pas corrélé à l’abondance matérielle. Il est temps de repenser ce que nous entendons par développement humain, de manière à faire évoluer la conscience humaine vers une vie plus équilibrée et une meilleure relation entre l’espèce humaine et la nature. Notre travail sur les questions d’environnement et de développement devrait conduire les individus vers une pleine conscience et une connaissance de soi permettant de cultiver un équilibre, une paix et un bonheur intérieurs.


Commencer avec une petite victoire : plastiques et changement de comportement
« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. »
Lao Tseu, philosophe chinois de l’antiquité

Pour accompagner ce parcours vers la connaissance et la maîtrise de soi, le PNUD lance une initiative sur les plastiques et les changements de comportement dans dix pays. Cette initiative s’inspire d’une théorie du comportement social appelée « théorie de la vitre cassée ». Selon cette théorie, une seule vitre cassée dans un quartier en amènera d’autres rapidement, et ce, quel que soit le niveau de richesse ou de pauvreté de la population qui vit dans le quartier en question. Si la vitre est changée dans un délai très court, dans la journée voire dans la semaine, le risque que des vandales cassent d’autres vitres ou causent d’autres dégâts est bien moindre. De la même façon, si les trottoirs sont balayés tous les jours, les gens auront beaucoup moins tendance à jeter des détritus dans la rue. Un environnement propre encourage les bons comportements et stimule la conscience humaine. La théorie soutient que l’environnement physique influe sur les comportements humains et peut avoir des répercussions sur d’autres aspects de la vie en collectivité.

Cette initiative vise à obtenir un petit changement concret au niveau de la collectivité, à favoriser de bons comportements pour gérer l’environnement et à suivre l’évolution des changements au fil du temps. Une expérience sera menée, qui comprend les mesures suivantes :

  • Un jour de nettoyage chaque mois. Organiser une journée mensuelle de nettoyage avec la participation de l’ensemble de la société, des populations locales jusqu’au sommet de l’État. Contrairement aux campagnes de nettoyage ponctuelles organisées à des fins de sensibilisation, cette initiative a pour but de modifier les comportements, d’améliorer la conscience humaine par la mise en place d’une opération de nettoyage régulière avec une forte participation des pouvoirs publics, des entreprises et de la société civile.
  • Amélioration du système de collecte des déchets, volontariat communautaire et patrouilles pour mettre fin à l’abandon de détritus dans l’espace public. Une fois le nettoyage effectué, il est important de préserver la propreté des espaces publics qui ont été nettoyés et de renforcer des comportements collectifs respectueux.
  • Campagne de sensibilisation pour éliminer les plastiques à usage unique non essentiels. Plaider pour une interdiction par les pouvoirs publics des plastiques à usage unique non essentiels (en commençant par des choses faciles à interdire comme les sacs de courses).
  • Soutenir les alternatives écologiques locales aux plastiques, ainsi que les systèmes de réutilisation et de re-remplissage
  • Dialogue sur les mesures à prendre. Organisé par les bureaux pays du PNUD et les pouvoirs publics avec le secteur privé, les milieux universitaires et la société civile pour améliorer les politiques et les réglementations relatives aux matières plastiques afin d’enrayer la pollution à sa source.
  • Formation, conseil et suivi scientifique de l’évolution des comportements au fil du temps.

Il est extrêmement difficile de changer des comportements humains. C’est pourquoi nous commençons par une expérience simple. En évitant le jargon et les termes compliqués, nous débutons avec un comportement que tout le monde peut comprendre et une action à laquelle tout le monde peut participer : nettoyer les alentours de son lieu de vie. 

Nous espérons que cette initiative viendra préciser les contours de la marche à suivre pour remédier au problème de la pollution par les matières plastiques.

A pile of old keys

Comme dans l'histoire de la clé perdue, les travaux sur l'environnement et le développement se sont principalement concentrés sur les facteurs externes. Nous nous sommes moins intéressés au comportement humain et à la conscience, parce qu'il est difficile de regarder à l'intérieur.

Photo: Unsplash/Samantha Lam