Cette semaine à Dakar, plus de dix organes de gestion des élections (EMB) africains participent à une semaine de formation.
Les institutions électorales africaines et leur rôle dans le façonnement de notre démocratie
22 août 2025
Dakar, Sénégal
Les processus électoraux comptent parmi les événements nationaux les plus importants pour tout pays. Les campagnes qui les précèdent — marquées par des rassemblements, des gros titres et une couverture médiatique — soulignent l’importance de la participation. Tout comme les fêtes nationales, les élections commémorent une expérience civique partagée qui unit les citoyens autour d’un avenir commun.
Mais l’observation des élections n’est pas seulement cérémonielle. Les données recueillies par les observateurs reflètent à la fois les normes démocratiques et les faiblesses systémiques d’un pays. Bien avant le jour du scrutin, ils surveillent qui est inscrit et qui participe — femmes, hommes, jeunes — offrant ainsi une image de l’engagement des différents groupes sociaux. Ils posent des questions essentielles : qui a accès aux médias ? La liberté de réunion est-elle garantie ?
Le jour du vote, ils examinent la composition du personnel électoral et observent qui se présente tôt, qui vote plus tard — des tendances qui révèlent des barrières d’accès, de sécurité ou socioéconomiques. Après les élections, les observateurs aident à évaluer l’acceptation des résultats et la mise en œuvre des recommandations. En d’autres termes, la santé d’une démocratie et le degré d’engagement — ou d’aliénation — des citoyens peuvent largement être mesurés à travers un seul processus électoral.
Les observateurs peuvent également mettre en évidence des risques externes. Le changement climatique, par exemple, constitue une menace croissante pour la gestion électorale : inondations, sécheresses et autres phénomènes extrêmes peuvent retarder la logistique, entraver l’accès des électeurs ou même perturber les calendriers électoraux. Les organes de gestion électorale jouent donc un rôle clé en mettant en place des garde-fous pour protéger l’intégrité des scrutins face à ces multiples chocs.
Pourquoi est-ce important ?
D’ici 2027, au moins 15 pays africains — dont l’Angola, le Bénin, le Burundi, le Cap-Vert, le Congo, Djibouti, l’Éthiopie, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Kenya, le Lesotho, le Nigéria, Sao Tomé-et-Principe, l’Ouganda et la Zambie — organiseront des élections. Les observateurs joueront un rôle essentiel : protéger l’égalité de participation, renforcer la confiance dans les processus démocratiques et accroître la légitimité des gouvernements qui en émergeront.
C’est dans ce contexte que l’Union africaine (UA), International IDEA et le PNUD Sénégal organisent cette semaine à Dakar une formation d’introduction à l’administration électorale BRIDGE (Building Resources in Democracy, Governance, and Elections). Le programme s’adresse aux organes de gestion électorale et à leurs réseaux à travers le continent.
Pour le Dr Ibrahima Amadou Niang, Team Leader Gouvernance au PNUD Sénégal et l’un des facilitateurs de cette formation, ce moment est décisif :
« C’est une opportunité de repenser nos processus de gouvernance, de faire les bons choix pour nos pays. C’est une saison d’opportunités et de renouveau. Les élections peuvent soit accroître l’exclusion si les barrières restent fortes, soit, si elles sont véritablement participatives, transformer les institutions, renforcer la gouvernance et créer un environnement favorable au développement durable et aux ODD. »
Dr Ibrahima Amadou Niang, Team Leader Gouvernance, PNUD Sénégal
La formation a débuté par des questions fondamentales — pourquoi les élections sont-elles importantes ? — et des exercices créatifs de jeu de rôle, comme expliquer les élections sans utiliser les mots « vote » ou « électeur ». Les participants ont également abordé des questions citoyennes cruciales : comment mes données sont-elles protégées à l’ère de la technologie et des risques de cybersécurité ?
Pour Rindai Vava, experte électorale senior, l’un des enjeux les plus marquants a été la véritable indépendance des organes électoraux :
« Bien qu’on les appelle ‘indépendants’, de nombreux EMB dépendent encore d’approbations externes pour le budget, la reddition de comptes et les rapports. Leur structure institutionnelle limite parfois leur indépendance réelle. Davantage d’efforts sont nécessaires : un financement consolidé et des mécanismes de contrôle plus solides sont essentiels. »
Rindai Vava, experte électorale senior
L’objectif global est de renforcer les capacités des EMB en dotant les participants de compétences, de connaissances et d’un développement professionnel aligné sur les normes internationales de démocratie et d’intégrité électorale. Plus précisément, la formation vise à :
- doter le personnel des EMB d’une expertise technique et d’une compréhension approfondie des processus, procédures et principes éthiques ;
- renforcer la gestion des risques, la prévention de la fraude et la résolution des litiges ;
- promouvoir l’inclusivité, avec un accent particulier sur la participation des femmes et des jeunes ;
- bâtir une résilience institutionnelle pour faire face aux nouvelles menaces, y compris les chocs climatiques et la cybersécurité.
Les trois phases de l’observation électorale
- Phase pré-électorale : cadre légal et institutionnel, planification financière et opérationnelle.
- Phase de vote : observation du déroulement du jour du scrutin.
- Phase post-électorale : leçons tirées, avec une attention particulière aux recommandations des observateurs.
L’ambassadeur Calixte Aristide Mbari, chef de la Division démocratie, élections et constitutionnalisme de l’Union africaine, explique :
« Toutes ces phases doivent être menées avec une grande rigueur pour éviter les troubles. Comme on dit, le diable est dans les détails. Il est essentiel de comprendre la dynamique complète d’un processus électoral et de bien définir les concepts de démocratie et d’élections, souvent confondus. L’Union africaine est prête à accompagner les États membres en renforçant leurs capacités, en fournissant une assistance technique et en veillant à ce que les élections soient inclusives et crédibles. L’objectif ultime est que les États membres soient mieux équipés pour organiser des élections transparentes et pacifiques qui contribuent au développement et à la stabilité du continent. »
Ambassadeur Calixte Aristide Mbari, Union africaine
Selon le Dr Niang, le choix de Dakar comme lieu de formation est également symbolique. Le Sénégal a une longue tradition d’élections pacifiques et bien organisées. Les scrutins récents ont été reconnus comme inclusifs, transparents et exempts de violences majeures. Avec le Cap-Vert et le Ghana, le Sénégal se distingue comme un modèle de bonnes pratiques dans la région. Accueillir la formation ici permet à d’autres pays de s’inspirer de cette expérience électorale, qui illustre comment des processus bien gérés peuvent renforcer la paix, la participation et le développement.
Technologie, IA et cybersécurité
Les élections génèrent d’immenses quantités de données, dont seulement 15 à 20 % sont exploitées efficacement. Selon le Dr Niang :
« La plupart des données sont mises de côté une fois les rapports publiés. Pourtant, elles pourraient être transformées en notes de politique publique, documents de plaidoyer, preuves pour des réformes ou même des recours juridiques. L’IA peut aider à analyser ces volumes de données électorales et à les transformer en informations exploitables. »
Les élections produisent également d’importantes données sensibles, y compris des informations sur les électeurs et les résultats. De solides mesures de cybersécurité sont donc indispensables pour réduire le risque d’acteurs malveillants cherchant à pirater les systèmes électoraux, manipuler les données ou diffuser de fausses informations.
La formation de cette semaine aborde directement ces enjeux. Les participants explorent comment avancer avec la technologie plutôt que d’être dépassés par elle, en exploitant les opportunités offertes par les outils numériques tout en reconnaissant leurs risques. Les sessions portent sur l’usage sûr des réseaux sociaux, l’exploitation de l’IA pour orienter les politiques, les réformes et le renforcement institutionnel, mais aussi sur la désinformation et la mésinformation qui, si elles ne sont pas maîtrisées, peuvent miner la confiance publique.
Alors que l’Afrique entre dans un cycle électoral décisif entre 2025 et 2027, la nécessité de bâtir des systèmes électoraux résilients, inclusifs et transparents n’a jamais été aussi pressante. Ce qui est en jeu, c’est le renouvellement de la confiance entre citoyens et institutions. Cette période représente une opportunité unique pour les observateurs, les organes de gestion électorale et les partenaires internationaux de repenser la gouvernance, d’utiliser la technologie de manière responsable et de protéger l’intégrité électorale face aux menaces anciennes et nouvelles.
Des élections justes et inclusives offrent aux citoyens une véritable voix, renforcent leur sentiment d’appartenance et ancrent la démocratie comme socle du développement durable, de la stabilité et du progrès durable à travers le continent.