Au-delà de l'Or Noir : Extraire la Véritable Richesse du Sénégal

Par Jad Zammarieh, Digital Communications Officer - Centre Sous-Régional du PNUD pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, PNUD Sénégal

16 décembre 2024
Four women in colorful clothing work in a green field, with a rural backdrop.
Jad Zammarieh - Vallée du Fleuve Sénégal

Richesse, Pouvoir, Croissance. Trois objectifs parfaitement légitimes pour un pays. Pourquoi ne le seraient-ils pas après tout ? Viser toujours plus grand, produire toujours plus, performer avant tout, s’aligner aux modèles occidentaux : c’est la norme, c’est ce qui fait “avancer” le monde. 

Et pourtant, aussi naïf que cela puisse paraître, je ne peux m’empêcher de croire que la richesse d’un pays ne se mesure pas à quelques indicateurs économiques, ni à l’abondance de ses matières premières ou de sa main d’œuvre. Elle réside ailleurs. Dans ce qui ne s’explique pas. Dans ce qui est là, depuis toujours, immuable et ancré, ce qui coule dans les veines d’un peuple et le façonne.

Arrivé au Sénégal depuis bientôt un an, j’ai été innondé de cette richesse-là. Je l’ai entendue dans les battements du sabar, admirée dans les motifs des marchés de Dakar et ressentie dans les mangroves casamançaises. Elle danse au rythme du jazz à Saint-Louis, là où le fleuve Sénégal vient embrasser l’Atlantique. Elle vit dans les histoires des griots partagées sous l’ombre des baobabs, et dans les rêves d’une jeunesse ivre de prospérité. 

Mais aujourd’hui, cette richesse semble vaciller face à une autre plus concrète : celle du pétrole récemment découvert au large de Sangomar. Une promesse de croissance rapide et tentante. Alors, que va choisir le Sénégal ? Quelle richesse l’emportera ? Celle qui s’exporte ou celle qui s’enracine ?

Le champ de Sangomar offre au pays des perspectives de revenus colossaux. Mais cette perspective de richesse exige de la prudence. Comme l’ont montré les lauréats du prix Nobel d’économie, Acemoglu, Robinson et Johnson, les pays d’économie extractive servant principalement les intérêts étrangers tombent souvent dans des cycles de dépendance. La promesse des matières premières se transforme alors en malédiction, perpétuant des schémas de domination hérités de la période coloniale.

À cela s’ajoutent des enjeux environnementaux majeurs. Les industries extractives ne sont pas durables et peuvent conduire à la destruction des écosystèmes. Pour un pays dépendant de la pêche et du tourisme côtier, le défi est immense : produire sans détruire. 

Loin des puits de pétrole, une autre énergie irrigue le pays : la création. Le riche patrimoine culturel du Sénégal peut offrir une voie durable. La “Vision Sénégal 2050” mise sur la mode, le cinéma et les arts visuels pour doubler la contribution du secteur culturel au PIB d'ici à 2050 et créer des milliers d'emplois. La Biennale de Dakar incarne cette ambition en attirant touristes comme investisseurs. Contrairement au pétrole, la créativité ne s’épuise pas. Elle se réinvente et s’exporte sans jamais s’appauvrir. En valorisant ce qui fait son unicité, le Sénégal construit une économie qui lui ressemble, portée par la vitalité de sa jeunesse.

À cette richesse culturelle s’ajoute celle de la nature. J’ai pu rencontrer des femmes et des jeunes qui travaillent la terre avec fierté. En Casamance, dans les villages côtiers ou au cœur des zones agricoles, j’ai vu des mains qui cultivent et transforment. J’ai vu une jeunesse inventive, consciente des enjeux écologiques et décidée à créer de la valeur sans trahir ce qui les nourrit. L’agro-transformation, l’écotourisme ou encore la pêche durable deviennent des voies de développement qui conjuguent respect des ressources, création d’emplois, sécurité alimentaire et autonomie économique. Développer ces activités, c’est faire le choix d’une croissance qui ne sacrifie ni l’environnement ni la dignité des communautés.

Dans cette dynamique, des acteurs comme le PNUD accompagnent ces transformations : soutien aux petites exploitations, accès aux financements, accompagnement à l’entrepreneuriat. En 2023, plus de 4 000 femmes et jeunes ont bénéficié de ces appuis. Et au-delà des chiffres, ce sont des vies qui changent et des communautés qui s’émancipent.

Le Sénégal se trouve donc à un moment décisif de son Histoire. Il peut écrire un modèle incarné qui ne confond pas croissance et progrès. Le vrai défi n’est alors pas seulement économique : il est culturel, identitaire, philosophique. Construire un avenir sans trahir ce que l’on est. Résister à la tentation du court terme pour faire le pari du sens, de la durée, de la souveraineté réelle. Celle qui ne s’achète pas, mais se cultive. Car il ne suffit pas d’extraire des richesses si, en chemin, on extrait aussi nos racines.

A person sitting on a tree branch in a dry, sandy landscape.
Jad Zammarieh - Désert de Lompoul