Les forêts : un supermarché naturel

Au Gabon, où près de 90 % du territoire est couvert de forêts, l’un des paradoxes les plus frappants reste la forte dépendance du pays aux importations alimentaires.

2 mai 2025
A soldier and a man in a suit plant a young tree surrounded by onlookers.

Gabon

Photo: PNUD Gabon

Au Gabon, où près de 90 % du territoire est couvert de forêts, l’un des paradoxes les plus frappants reste la forte dépendance du pays aux importations alimentaires. Chaque année, environ 450 milliards de francs CFA de produits alimentaires sont importés. « Pour un pays de seulement deux millions d’habitants, ce niveau d’importation est énorme », souligne Aline DA SILVA, Spécialiste en Biodiversité au PNUD.

Les bouillons cubes, tels que ceux de la marque Maggi de Nestlé, ont commencé comme un produit de commodité, mais se sont peu à peu enracinés dans les habitudes culinaires de nombreux pays africains. Aujourd’hui, certains plats dits "traditionnels" intègrent ces cubes, qui éveillent une certaine nostalgie et sont devenus incontournables. Mais à quel prix ?

Les produits issus des forêts peinent à rester compétitifs dans un environnement économique où les articles locaux coûtent souvent plus cher que les produits importés. 

« Les petits producteurs au Gabon ont du mal à écouler leurs produits. Les coûts de transport sont élevés. Les routes, en particulier pendant la saison des pluies, rendent l’accès aux centres urbains comme Libreville difficile. Il faut envisager des subventions, des exonérations fiscales pour les produits locaux, et une amélioration du réseau routier.»
Aline DA SILVA, Spécialiste en Biodiversité au PNUD

Comment rendre les produits locaux plus compétitifs ? Comment changer les mentalités ? Et surtout, quel rôle les forêts peuvent-elles jouer dans la quête d’autosuffisance alimentaire ?

Journée internationale des forêts : Forêts et Alimentation

Ces questions ont été mises en lumière à l’occasion de la Journée internationale des forêts (JIF) 2025, axée sur le thème « Forêts et alimentation ». Le PNUD, avec l’appui de l’Initiative pour les Forêts d’Afrique centrale (CAFI), du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et d’autres partenaires, a organisé des activités communautaires pour reconnecter les populations aux traditions culinaires forestières et à l’identité environnementale du Gabon.

Deux activités principales ont marqué la célébration :

1. Concours culinaire « La Marmite du Gabon »

Ce concours national invitait les participants à proposer des recettes à base d’ingrédients traditionnels issus de la forêt et à partager un témoignage personnel sur l’importance de la forêt au Gabon Des chefs gabonais renommés — Chef O’Miel, Chef Darnell et PopoLovesCooking — ont endossé le rôle d’ambassadeurs, en préparant eux-mêmes une recette culinaire et en assurant la promotion du jeu concours sur les réseaux sociaux. Les participants ont utilisé des ingrédients comme le bissap, les fèves de cacao, les feuilles de nkumu ou l’ail indigène, pour préparer des plats à la fois ancestraux et modernes.

« La cuisine moderne privilégie ce qu’on trouve facilement dans les supermarchés — donc des produits importés, surtout en ville. Ces événements permettent de réhabiliter nos épices locales. »
Sveltana ADAH MENDOME, anthropologue et spécialiste en mobilisation communautaire et gestion durable des forêts au PNUD
« La cuisine gabonaise a des vertus thérapeutiques et contribue à la longévité »
Chef O’Miel, chef cuisiner et entrepreneur

La grande gagnante du jeu concours, Sarah KENGUE, jeune diplômée en sciences marines, s’est inspirée d’un souvenir d’enfance lié à la cuisine de sa grand-mère. Son plat, préparé à base de fleurs de bananier, pâte d’arachide, poisson fumé et sel indigène, célébrait les produits de la forêt. 

« Les forêts régulent notre climat, nourrissent nos corps, et portent la sagesse des ancêtres. Tous mes ingrédients viennent de cet espace sacré. »
Sarah KENGUE, gagnante du jeu concours

Karen BAKAKAS, Coordonnatrice nationale du Small Grants Programme (FEM SGP, PNUD), insiste : « Il faut connecter les jeunes influenceurs aux femmes rurales pour qu’elles transmettent leur savoir et créent des synergies. »

 

2. Plantation d’arbres à l’école publique Nzeng Ayong 1

En collaboration avec l’Agence Nationale des Parcs Nationaux (ANPN), l’UNESCO, la municipalité de Libreville et le Ministère de l'Habitat, de l'Urbanisme et du Cadastre, le PNUD a organisé une séance de plantation d’arbres fruitiers et de sensibilisation environnementale pour les élèves.

« Il y a vingt ans, on n’avait pas besoin de planter des arbres — ils étaient partout. Aujourd’hui, avec l’urbanisation, les espaces verts disparaissent. Beaucoup d’enfants grandissent dans des quartiers denses, sans nature. Cette activité les aide à se reconnecter. »
Karen BAKAKAS, Coordonnatrice nationale du Small Grants Programme (FEM SGP, PNUD)

Pour ces enfants nés en ville, la forêt peut sembler lointaine. Pourtant, « nous dépendons des écosystèmes pour l’air, l’eau, la nourriture — et même l’inspiration », rappelle Aline DA SILVA. Ces activités éducatives permettent d’éveiller une génération soucieuse de son environnement. « Il s’agit de réapproprier notre identité verte », ajoute Omer NTOUGOU NDOUTOUME, Secrétaire Exécutif de l’ANPN.

 

Soutenir l’agriculture locale et les moyens de subsistance forestiers

Au-delà de ces initiatives de sensibilisation, le PNUD collabore notamment avec le Ministère des Eaux et Forêts, chargé du conflit homme-faune, Ministère de l'Environnement et du Climat, et Ministère de l’Agriculture pour renforcer la souveraineté alimentaire et assurer une gestion durable des forêts. Avec l’appui du CAFI et du FEM (via le Small Grants Programme, les projets GEF-7 et CAFI-2) des communautés des régions des Plateaux Bateké, du Bas Ogooué et de la Basse Nyanga sont accompagnées dans des activités génératrices de revenus et de gestion durable des ressources forestières.

Aussi, un projet majeur consiste à cartographier les terres agricoles sur tout le territoire national. 

 

« Le nouveau laboratoire d’analyse et de cartographie des sols de l’ADAG construit et équipé avec le soutien de CAFI contribue à l’analyses des sols et à orienter les communautés vers les cultures les mieux adaptées. Par exemple, les études de ADAG ont montré que le regroupement de villages de Mandji, département Offoué-Onoye, dans la province de l’Ogooué-Lolo est particulièrement propice à la culture du manioc et de l’arachide grâce à la composition de son sol. »
Guilhem RIBAUCOUR Chargé de Projet / Environnement au PNUD

Cette approche fondée sur des données scientifiques permettra d’accroître les rendements, de réduire les importations et de mieux gérer les ressources forestières. « Une bonne gestion des terres et la préservation des forêts  ouvre aussi la voie à l’accès aux financements climatiques et aux marchés carbone — transformant la préservation forestière en opportunité économique au bénéfice des populations », ajoute Guilhem RIBAUCOUR.

 

Préserver les savoirs traditionnels et accéder à de nouveaux marchés

Les connaissances écologiques traditionnelles, souvent transmises oralement par les communautés autochtones, représentent un autre atout sous-exploité. Le PNUD travaille avec des agences telles que l’AGANOR (qualité) et l’OGAPI (propriété intellectuelle) pour aider les producteurs locaux à certifier et breveter leurs produits forestiers. Le beurre de moabi, utilisé en cuisine et en cosmétique, en est un bon exemple. Avec les bons protocoles, des produits comme celui-ci pourraient atteindre les marchés internationaux.

« Les produits issus des arbres — antika, odika, essouk, kawang — ont une valeur culturelle forte. Ils ne nécessitent pas de replantation et méritent d’être davantage disponibles sur les marchés », souligne Karen BAKAKAS.

 

Un avenir nourri par les forêts

En restaurant les traditions culinaires, en soutenant les petits producteurs, en développant les infrastructures nécessaires et en préservant les savoirs autochtones, le Gabon peut bâtir un modèle de développement fondé sur ses propres ressources. La Journée internationale des forêts de cette année a mis en lumière l'importance de repenser notre lien à la nature, notamment à travers l’alimentation, et de promouvoir une trajectoire axée sur l’autonomie alimentaire et la gestion durable des forêts. Cela implique non seulement la valorisation des produits forestiers non ligneux et des pratiques agricoles durables, mais aussi la mise en place de chaînes de valeur locales, la certification des produits et l’ouverture vers de nouveaux débouchés. Avec les bonnes mesures, ces produits issus de la biodiversité et du savoir ancestral peuvent également s’exporter et contribuer à positionner le Gabon sur le marché international, dans une logique de croissance inclusive et durable.