Sécurité climatique : Clef de voûte d'une stabilité durable au Sahel

Par Jad Zammarieh, Digital Communications Officer - Centre Sous-Régional du PNUD pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre, PNUD Sénégal

12 juin 2025
Colorful display of blocks representing sustainable development goals in a conference setting.

Climat. Paix. Sécurité. Trois mots qui, dans le Sahel, ne relèvent plus de champs d'action séparés. Ils se superposent, s’enchevêtrent, et redessinent les lignes d'un horizon commun. C'est leur articulation qui déterminera l'avenir de toute une région. Car dans un territoire déjà fragilisé par les inégalités, les conflits et la pression démographique, chaque degré de plus, chaque ressource qui s’épuise, chaque tension qui s’aggrave met à l’épreuve la cohésion des sociétés. 

C’est dans cette perspective que s’inscrit le programme régional pour la sécurité climatique lancé par le PNUD en 2022, avec un double objectif. Le premier : aider à anticiper les crises en renforçant les systèmes d’alerte précoce et le partage d’information entre acteurs, pour permettre aux institutions et aux communautés d’agir avant que les risques ne deviennent des chocs. Le second : ancrer durablement la sécurité climatique dans les politiques publiques, au plus près des territoires, des réalités et des populations qui vivent chaque jour l’intersection de ces vulnérabilités. Le programme trace une voie vers un avenir plus stable et plus sûr pour le Sahel, en soutenant la résilience des pays les plus exposés, en favorisant une gouvernance plus inclusive des ressources et en prévenant les tensions et en consolidant la paix.

Les pays du Sahel figurent aujourd’hui parmi les plus exposés aux effets du dérèglement climatique. Les températures y augmentent 1,5 fois plus vite que la moyenne mondiale, et plus de 80% du territoire est déjà affecté par la désertification. Hausse des températures, irrégularité des précipitations, dégradation des terres, pénurie d’eau, tensions croissantes autour des ressources naturelles… autant de facteurs qui alimentent l’insécurité, les déplacements forcés, et les conflits locaux.

Le Bassin du lac Tchad en est un exemple frappant. Sa surface a diminué de près de 90% depuis les années 1960, bouleversant les équilibres locaux. La compétition pour l’eau et les pâturages s’est intensifiée, provoquant des tensions récurrentes entre éleveurs, agriculteurs et pêcheurs, et le déplacement de plus de trois millions de personnes. Dans la région du Liptako-Gourma, à la frontière entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, jusqu’à 60% des conflits locaux seraient aujourd’hui liés à l’accès à la terre et aux ressources naturelles. Le climat ne crée pas les conflits, mais il les aggrave, les rend plus fréquents, plus intenses, et souvent plus durables.

Ces dernières années, de plus en plus de voix se sont réunies à l’échelle régionale pour poser les bases d’une réponse commune. Gouvernements, institutions, collectivités, jeunes leaders, chercheurs, agriculteurs, partenaires techniques… Tous convergent vers un constat partagé : sans sécurité climatique, il n’y aura ni paix durable, ni développement possible dans la région. L'important aujourd'hui, c'est de transformer le constat en réponses concrètes. Sur le terrain comme dans les sphères politiques, un même besoin s’exprime : relier les données à la décision, les territoires à la gouvernance, l’adaptation au vivre-ensemble. Cette exigence prend tout son sens dans une région où plus de 33 millions de personnes vivent en situation d’insécurité alimentaire, et où près de 70% de la population dépend directement des ressources naturelles pour survivre. Cette orientation guide désormais de nombreuses initiatives régionales, où visions, outils et engagements convergent vers un socle commun d’actions.

Ce socle de priorités est désormais bien identifié. Il s’agit d’intégrer les enjeux du Nexus Climat-Paix-Sécurité dans les politiques publiques, à tous les niveaux. De renforcer les capacités des acteurs de terrain, en leur donnant les compétences et les moyens d’agir. De reconnaître aux collectivités et aux communautés un rôle central dans la réponse aux crises. De rendre les données accessibles, lisibles, utilisables. Et de faire entendre, à l’approche de la COP30, une voix régionale forte, portée par les réalités du Sahel et du Golfe de Guinée.

Dans cette dynamique, le rôle des jeunes et des femmes s’est imposé comme une évidence. Non pas en tant que cibles vulnérables, mais comme moteurs du changement. À travers des projets d’agriculture durable, des systèmes d’alerte communautaires ou des initiatives de médiation locale, ils et elles ont montré que la réponse vient souvent de ceux qui vivent la crise au quotidien. Le programme Youth, Climate, Peace and Security, soutenu par le PNUD, accompagne ces acteurs de terrain, valorise leurs innovations, et crée des passerelles entre les générations.

Une dynamique de suivi est désormais enclenchée, pour donner une suite concrète aux engagements pris et renforcer la coordination entre pays. L’objectif n’est pas de clore un cycle, mais d’en ouvrir un autre : plus opérationnel, plus ancré. Le vrai défi, aujourd’hui, est d’ancrer durablement le Nexus Climat-Paix-Sécurité dans les politiques publiques, pour qu’il ne reste pas un cadre théorique, mais devienne un levier réel de stabilité, au plus près des territoires.

Dans un Sahel en quête de stabilité, la sécurité climatique peut devenir bien plus qu’un concept : une boussole pour l’action, un levier de transformation. À condition qu’elle s’ancre dans les réalités du terrain, qu’elle soit portée par les communautés, et qu’elle inspire des alliances sincères entre acteurs locaux, régionaux et internationaux. C’est en repensant ensemble nos manières de coopérer, de décider et d’agir que naîtront des réponses justes, concrètes et durables. Car c’est depuis ces territoires en tension que peut émerger une nouvelle façon d’habiter le monde ; plus lucide, plus solidaire, plus vivable.

À l’approche de la COP30, la voix du Sahel doit porter plus loin. En 2023, moins de 5 % des financements climatiques mondiaux ont été alloués aux pays les plus fragiles, alors même que la majorité d’entre eux se trouvent en Afrique de l’Ouest. Ce déséquilibre doit être corrigé. La sécurité climatique n’est pas un supplément aux politiques publiques : elle en est le socle. Les solutions existent : elles sont locales, transfrontalières, ancrées. Ce qu’il faut aujourd’hui, ce sont des engagements politiques clairs, des financements adaptés, et une volonté partagée d’agir. Le Sahel peut devenir un espace d’innovation stratégique. Il ne manque que l’élan.

Aerial view of a rural village with scattered houses and a dusty road, surrounded by dry land.