« Ne laisser personne de côté » dans la pratique du développement au quotidien : Le cas des jeunes de la rue et des femmes exerçant les petits commerces de rue avec des kiosques innovants

February 9, 2024

UNDP-CMR- Les jeunes de la rue et des femmes exerçant les petits commerces de rue avec des kiosques innovants-2024

UNDP Cameroon-AccLab

Qu’est ce qui amène certains jeunes à se retrouver dans la rue plutôt que dans des familles ? C’est sans doute la question que bon nombre d’entre vous se posent souvent en voyant ces jeunes de la rue qui déambulent dans les rues de certaines villes. L’histoire du jeune Hamza Youssoupha, un jeune de la rue, et les leçons apprises dans le cadre de l’expérimentation : “Quelle solution innovante peut renforcer la résilience et l'inclusion des jeunes de la rue et des femmes qui gèrent de petits commerces de rue ?” , nous en dit plus. Cette expérimentation, menée par le Laboratoire d’Accélération du PNUD Cameroun, vous permettra certainement d’avoir une meilleure idée de quelques raisons pour lesquelles ces jeunes déambulent dans les rues ainsi qu’une solution innovante prototypée et testée, qui pourrait contribuer à sortir certains de ces jeunes de la rue.

L’histoire de Hamza Youssoupha, 31 ans

Hamza est un jeune Camerounais âgé de 31 ans, il est d’ethnie Bororo (l’une des communautés autochtones minoritaires au Cameroun). Il est l’unique garçon d’une fratrie de cinq enfants. En 2001, alors qu’il est âgé de huit ans, il perd son papa (principal pourvoyeur de la famille). Il se crée dès lors une vive tension dans sa famille, tension nourrie par les appétits inextinguibles de ses oncles vis-à-vis du modeste bétail légué par son feu père. Sa mère vulnérable elle-même, n’y pourra malheureusement pas grand-chose face à ces oncles véreux. Hamza déboussolé n’a qu’un objectif, se prendre en charge pour alléger les souffrances de sa maman. C’est ainsi qu’il prend la difficile décision de quitter sa famille résidant à Bertoua pour se rendre à Yaoundé, la cité capitale du Cameroun à environ 335 Km. Il transite par la ville de Belabo où se trouve une gare pour s’infiltrer dans un train avec quelques compagnons d’infortune.  Malgré le temps passé, il n’oubliera jamais ce jour du 07 février 2001 (qui est resté gravé dans sa mémoire), jour où il arrive à Yaoundé. Ne connaissant personne dans cette ville, il se retrouve dans la rue et rejoint ainsi cette communauté des jeunes de la rue communément appelés au Cameroun les « Nanga Boko ». Pour survivre, il faut mendier et faire quelques fois recours aux activités illégales. A ce titre, un Article de Marie Morelle, intitulé “Jeunes de la rue et « culture de rue » à Yaoundé (Cameroun)”publié en 2005 en dit plus sur les activités de ces jeunes dans la rue à Yaoundé. Mais, en menant ces activités dans la rue, Hamza a pour objectif de sortir de ce milieu précaire, difficile et vicieux dès qu’il en aura la possibilité. [L’histoire de Hamza est similaire à celle de plusieurs autres jeunes de la rue parmi les 1822 interrogés en 2023 à Yaoundé, Douala et Ngaoundéré, par le RESUC (Registre Social Unifié du Cameroun) avec l’appui du PNUD Cameroun dans le cadre du projet PIJER (Projet d’Inclusion et de Réinsertion socioéconomique des Jeunes/EDR).]  Pendant son séjour dans la rue, il apprend à faire la petite restauration. Dans le souci de sortir de la rue, il va acquérir un kiosque de fortune lui permettant de proposer aux passants des petits aliments vite faits. Mais l’activité ne va pas prospérer et il retournera dans ses activités habituelles de la rue. Plus tard, avec l’appui de l’association OCALUCOPER (Organisation Camerounaise de Lutte Contre le Phénomène des Enfants de la Rue), il réussira à obtenir un autre kiosque au bord duquel nous l’avons retrouvé quand nous menions les enquêtes de terrain dans le cadre de la réflexion sur cette expérimentation. Les échanges avec Hamza ont permis d’établir le fait que cette activité lui permettait de survivre mais présentait un certain nombre de contraintes à savoir : l’impossibilité de conserver ses denrées périssables ; l’incapacité de vendre dans la nuit avec le manque de lumière; et l’exposition de ses approvisionnements aux intempéries. De ce fait, il a exprimé le besoin d’avoir des solutions améliorées, pour lui permettre de mieux exercer son activité et faire face aux contraintes citées plus haut.

Avec l’appui du Laboratoire d’Accélération du PNUD Cameroun, ceci a été rendu possible. Aujourd'hui, Hamza regarde l’avenir avec un peu plus d’espoir et d’ambitions, car il est en train de tester l’usage d’un kiosque mobile à énergie solaire doté d’un réfrigérateur lui permettant de conserver les denrées périssables. Ce kiosque dispose également d’un système d’éclairage lui permettant de vendre dans la nuit, avec la possibilité de recharger son téléphone sur place, et in fine innover dans son activité de petite restauration de rue. 

Après quelques mois d’expérimentation de son nouveau kiosque, nous lui avons rendu visite après une journée de travail. En se basant sur sa petite comptabilité, il nous a confié “ma recette a augmenté”. En effet après analyse, il se trouve que son chiffre d’affaires journalier a augmenté de près de 60% par rapport au dispositif qu’il utilisait avant. “Je peux désormais vendre la nuit ce que je ne pouvais pas faire avant par manque d’éclairage”, dit-il.  Ceci lui permet de générer de nouveaux revenus, avec l’avantage en plus de n’avoir aucune facture d’énergie à régler.

UNDP-CMR-Entretien avec Hamza sur le test du kiosque-2024

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Comment cette nouvelle façon de faire a permis d’accroître ses revenus ? 

Il y a selon lui une grande différence avec le dispositif antérieur et ce qui fait la différence est au niveau des points suivants : 

  • Le kiosque mobile à énergie solaire est plus pratique à manier et permet de mieux disposer son matériel de travail ; 
  • Le modèle attire l’attention d’une nouvelle clientèle comme les jeunes étudiants attirés par la nouveauté ; 
  • Certains clients y viennent par curiosité, surtout la nuit, du fait de son système d’éclairage ; 
  • Le kiosque mobile à énergie solaire permet de conserver des denrées périssables et de stocker une quantité plus importante d’approvisionnement. Nous supposons qu’il fait ainsi une économie d’échelle sur la chaîne d’approvisionnement. 

Hamza nous a confié : “Aujourd’hui, grâce à ce nouveau kiosque, mon activité me permet de résoudre mes problèmes et d’épargner”. Il rajoute “Dans le futur, j’aimerais ouvrir un restaurant moderne, et former d’autres jeunes de la rue à faire la restauration pour sortir de la rue comme moi”.  Quelques effets commencent à se faire sentir, nous rapporte Yannick Ondoa, Président de l’Association OCALUCOPER.  En effet, Hamza et 11 des autres jeunes de la rue ont reçu en janvier 2024 une formation un peu plus poussée en restauration dans le Restaurant “le Club Municipal de Yaoundé” (l’un des meilleurs de la ville). Ceci avec l’appui d’un partenaire au développement de l’Association très marqué par ces kiosques innovants. Ceci, permettra à coup sûr à ces jeunes de mieux diversifier leur offre et répondre à une clientèle de plus en plus nombreuse, exigeante et ainsi optimiser leurs revenus et in fine accroître leur résilience. 

Comment sommes-nous arrivés à ces kiosques innovants ? 

Étape 1: enquête sur les difficultés rencontrées par ces acteurs

Nous avons mené des enquêtes géoréférencées de terrain auprès de 216 personnes (dont 71,76 % de femmes et 28,24% d’hommes) dans les lieux de commerce des villes de Yaoundé et Douala. Ceci dans l’objectif de mieux comprendre la difficulté de ces acteurs vulnérables qui font dans le petit commerce de rue.  Les analyses ont permis de comprendre les difficultés dont font face ces femmes et jeunes exerçant dans le petit commerce de rue et ils/elles ont révélé leur volonté d’avoir des moyens alternatives (un réel besoin exprimé).

UNDP-CMR-Cartographie des enquêtés des villes de Yaoundé et Douala-2024

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Ce travail de terrain a été mené avec l’appui de 10 étudiant.e.s bénévoles (dont 50% de femmes et 50% d’hommes) résidant dans les villes de Douala et Yaoundé qui ont fait usage des smart phones et de l’application mobile de collecte de données Kobo Collect, ensuite des analyses ont été faites avec l’application SIG (Système d’Information Géographique), Quantum GIS.    

UNDP-CMR-Une équipe de bénévole sur le terrain à Yaoundé-2024

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Étape 2: meilleure spécification du besoin et prototypage 

Ici, nous avons discuté avec deux Ingénieurs en Energie renouvelables sur le besoin exprimé de nos cibles, ainsi que l’hypothèse émise en termes de potentielle solution. Chacun a mis sur pied une équipe et les deux équipes ont travaillé, l’un sur le modèle destiné à la petite restauration de rue par les jeunes de la rue et l’autre équipe sur le modèle adapté à la vente des fruits et légume.  Avec l’intelligence collective des ingénieurs et l’équipe du laboratoire, les Ingénieurs ont proposé des modèles 3D sur lesquels grâce à un processus agile, nous avons apporté des modifications jusqu’aux modèles qui nous semblaient pouvoir répondre aux besoins des cibles et deux prototypes ont été développés.

UNDP-CMR-Aperçu d’un des modèles 3D conçus et premiers prototypes développés par les Ingénieurs-2024

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Etape 3 : test des prototypes développés

Avec le concours de l’association OCALUCOPER, nous avons pu identifier les sites et les personnes qui pouvaient tester ces prototypes et nous leur avons transféré les kiosques avec une grille de feedback hebdomadaire. Un mini rapport hebdomadaire sur l’évolution du test ainsi que les difficultés rencontrées et suggestions ou piste de solution était transmis par les utilisateurs

UNDP-CMR-Test sur le terrain avec le kiosque à énergie solaire pour la petite restauration de rue-2024

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Leçons apprises

Après quelques mois de test, nous avons tiré jusqu’ici quatre principales leçons de cette expérimentation, à savoir : 

  1. Parfois, les solutions aux défis du quotidien ne sont pas encore disponibles, mais un peu d’intelligence collective avec les cibles et potentiels solutionneurs permet de les développer. En effet, les retours des utilisateurs et de leurs clients sont assez positifs et ces derniers saluent le caractère innovant de ces kiosques qui sont ainsi en train de contribuer à l’inclusion socio-économique et d’accroître la résilience de ces couches sociales vulnérables. 
  2. Dans le processus de recherche d’une solution innovante à un problème qui se pose, nous devons adopter une démarche agile, et toutes les parties prenantes clés (utilisateurs finaux, service des achats, solutionneurs et responsables de l’organisation) doivent se parler/s’écouter mutuellement, pour ne pas sortir du périmètre et développer la solution dans un temps raisonnable.      
  3. C’est sur le terrain que nous pouvons réellement déterminer si la solution est adaptée ou pas et qu’est-ce qu’il faut encore ajouter/retirer. En effet, les tests nous ont permis de constater que certaines améliorations sont nécessaires pour augmenter les performances de ces kiosques. A ce titre, nous avons reçu la suggestion d’augmenter les sections d’exposition des échantillons pour un meilleur marketing des produits à proposer. Il y a aussi la suggestion d’avoir un système d’énergie hybride (solaire/énergie électrique) pour permettre au vendeur de continuer son activité si les batteries alimentées au solaire arrivaient à se décharger en cas de forte demande (surtout la nuit). 
  4. La soutenabilité financière de ces kiosques en raison de la cible dépend étroitement du nombre d’unités à développer, afin de faire une économie d’échelle.  

Appel à l’action 

Rejoignez-nous pour porter à l’échelle cette innovation en développant plusieurs de ces kiosques innovants testés et éprouvés, afin de sortir bon nombre de ces jeunes de la rue. Selon Yannick Ondoa, Président de l’Association OCALUCOPER, « ce type d’innovation contribue grandement aux objectifs des associations comme la nôtre et celle du Gouvernement qui souhaite sortir les jeunes de la rue à travers des Activités Génératrices de Revenus ». Plus loin, il ajoute qu’«un kiosque comme celui de la petite restauration de rue, peut sortir à lui tout seul trois jeunes de la rue », car il est exploité actuellement par trois jeunes (deux jeunes hommes et une jeune femme). Les bénéfices sont très appréciables et on peut constater leur épanouissement. Cette solution peut grandement contribuer à la réalisation des ODD, notamment les ODD 1 (pas de pauvreté), ODD 3 (bonne santé et bien-être), ODD 10 (inégalité réduite) et à l’ODD 11 (villes et communautés durables). 

Un merci particulier à nos 10 étudiants bénévoles, à OCALUCOPER et aux collègues Yannick Ngoa Elouga, Madeleine Julie Mballa, Jeannine Audrey Moneyang, Lawrence Neba, Jean Vincent Gweth, Anna Ojong, Leslie Ngwa pour leur appui en termes de suivi de l'expérimentation et leurs précieuses contributions à ce blog./.