Une simple « charge » ou un « investissement essentiel » ?

Financer le système des Nations Unies pour le développement

20 décembre 2021

UN Photo/Cia Pak

Le système des Nations Unies pour le développement représente l’un des principaux mécanismes mondiaux sur lesquels les pays et les partenaires s’appuient pour répondre aux crises et faire avancer les aspirations communes telles que la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Cependant, il existe deux discours antinomiques au sujet de ce système : l’un considère les contributions financières au système comme une simple « charge » et l’autre comme un « investissement » essentiel dans une ligne de défense commune pour relever les défis complexes du développement.

L’architecture actuelle de financement du système des Nations Unies pour le développement reste bien loin d’être celle souhaitable. Elle est tributaire des contributions volontaires pour plus des trois quarts de ses revenus totaux, et environ la moitié de ses revenus proviennent de seulement 10 des 193 États membres.

Les ressources hautement ciblées et imprévisibles qui dominent le système reflètent et renforcent dans une certaine mesure le caractère fragmenté et cloisonné de la coopération mondiale. Même avant la crise de la COVID-19, l’aide au développement était sous pression, en raison de la bilatéralisation de l’aide, des réaffectations sectorielles et du recours croissant aux prêts plutôt qu’aux dons. Entre 2010 et 2019, le volume des prêts au titre de l’aide publique au développement (APD) a augmenté de 68 %, la part des dons de l’APD quant à elle s’est contractée, ayant été ramenée de 72 % à 61 % (lire le briefing en anglais). Au cours de la même période, la croissance du financement de l’aide humanitaire a dépassé celle du financement de l’aide au développement.

Si le système des Nations Unies pour le développement doit s’acquitter de ses missions normatives et apporter des solutions de développement transversales qui conjuguent les différents efforts fournis en faveur du développement durable, il a plus que jamais besoin d’un soutien financier plus intelligent, flexible et fiable. Pour que la communauté internationale déploie une réponse mondiale aux défis du développement à l’échelle voulue, chaque dollar dépensé et investi doit maximiser les capacités, les compétences et le savoir-faire du système pour que celui-ci puisse collaborer avec les principales parties prenantes dans la sphère du développement multilatéral.

Des progrès lents dans la concrétisation des engagements du Pacte de financement

Le Pacte de financement conclu entre les États membres et le système des Nations Unies pour le développement a proposé un cadre de dialogue pour réformer les pratiques et les modèles de financement, y compris des engagements à augmenter les parts de ressources flexibles et prévisibles. Les ressources de base ou destinées à des fins plus générales représentent l’investissement le plus souple et le plus important pour le système. Cependant, jusqu’à présent, les progrès ont été lents sur de nombreux engagements. La part des contributions aux ressources de base du système a reculé de 19,6 % en 2019 à 16,2 % en 2020. La baisse continue des ressources de base et flexibles fragilise considérablement le rôle prépondérant du système des Nations Unies, notamment pour ce qui est d’empêcher un recul des progrès accomplis dans la réalisation des ODD, d’inciter les États à accélérer l’action contre le changement climatique et de protéger les droits humains, y compris les droits des enfants, des jeunes et des femmes.

Sous-capitalisation des mécanismes de financement flexible hors ressources de base

Des ressources flexibles autres que les ressources de base et de haute qualité offrent également au système des possibilités et de la marge pour poursuivre les objectifs et les missions prévus en matière de coopération au développement. Malgré une certaine croissance des ressources flexibles autres que les ressources de base via des guichets thématiques et des fonds communs, les résultats des capitalisations annuelles du Fonds commun pour le Programme 2030 et du Fonds pour la consolidation de la paix sont peu satisfaisants – le Fonds commun pour les ODD n’a reçu que 68 millions de dollars en 2021 contre une cible de 290 millions de dollars, et le Fonds pour la consolidation de la paix 191 millions de dollars contre 500 millions de dollars visés.

Un financement du développement hautement axé sur les projets

Ayant représenté 37 % de l’APD multilatérale en 2019, le système des Nations Unies pour le développement continue d’être le principal circuit d’acheminement de l’APD multilatérale. Pour autant, il reste le circuit d’acheminement de la plus grande part de ressources préaffectées, ce qui l’expose à des schémas de financement imprévisibles. En 2019, l’ONU a reçu près de 26 milliards de dollars de ressources financières, dont 70 % étaient préaffectées. Ce modèle de financement hautement ciblé au niveau des projets pèse également sérieusement sur la viabilité et à la soutenabilité du système des Nations Unies pour le développement. Si ce modèle reste inchangé, le programme de réformes pourrait se solder par un échec et il existe un risque réel que les fonds et programmes des Nations Unies soient réduits à un mécanisme de mise en œuvre pour d’importants fonds verticaux, les IFI et les programmes d’aide bilatérale.

Plaider énergiquement pour des ressources de qualité

Les principes et valeurs du multilatéralisme doivent se traduire par des ressources de base solides et prévisibles, qui restent la forme d’investissement la plus efficace et la plus en phase avec les missions fixées. Face à une pression accrue exercée sur le financement du développement, y compris l’APD, il est essentiel de développer des arguments politiques et des soutiens solides en faveur des ressources de base flexibles. Même les pays qui ont souvent fait preuve d’un soutien ferme passent la valeur du multilatéralisme et des ressources de base au peigne fin. Il est donc important de polir le discours politique qui montre pleinement le rôle des ressources de base dans la mise en place d’un système multilatéral solide à même d’obtenir des résultats. La mobilisation de nouveaux soutiens et l’élargissement de la base de parties prenantes favorables aux ressources de base parmi les acteurs étatiques et non étatiques en ayant recours au plaidoyer, à la visibilité et à des discours sur l’impact des ressources de base et flexibles devraient avoir leur utilité.

Une autre raison qui fait que les ressources de base constituent un investissement intelligent pour les partenaires est leur capacité à mobiliser des ressources supplémentaires auprès de diverses sources. En 2020, chaque dollar de ressources de base dépensé pour les programmes du PNUD a généré 10 dollars de ressources autres. En réponse à la pandémie de COVID-19, le PNUD Niger a revu ses priorités pour l’emploi de ses 2,5 millions de dollars de ressources de base et il a entrepris de mobiliser 2,5 millions de dollars supplémentaires pour des solutions de gouvernance électronique numérique, la participation communautaire et la reprise après la pandémie, en appui au plan national de riposte à la pandémie de COVID-19. De même, le déploiement rapide de 1,5 million de dollars de ressources de base a permis au PNUD de mobiliser près de 92 millions de dollars de ressources réservées au Mécanisme de stabilisation de la région du lac Tchad auprès de partenaires et d’accompagner les efforts visant à rétablir la sécurité et à porter secours aux communautés touchées par l’insurrection de Boko Haram au Cameroun, au Niger, au Nigéria et Tchad.

Compte tenu de la tendance actuelle à préaffecter des contributions à des projets spécifiques et de la contraction de la part des contributions de base, il sera essentiel de concilier le besoin d’échelle que les ressources préaffectées apportent avec le risque que cette tendance de financement pose pour l’orientation stratégique, l’agilité opérationnelle et l’indépendance institutionnelle du système des Nations Unies pour le développement. En l’absence de ressources de base suffisantes et prévisibles, il sera difficile de maintenir des normes de qualité élevées et l’excellence opérationnelle qui sont essentielles pour attirer des ressources préaffectées et les exécuter.

Bien que le caractère volontaire des engagements pris au titre du Pacte de financement ait permis des changements positifs, il n’a pas nécessairement assuré la réciprocité entre le système, qui s’acquitte de son engagement, et un changement positif dans les pratiques de financement des États membres. Il reste du travail à faire pour approfondir les acquis de la réforme au niveau du système et des équipes de pays, tout en incitant les États membres à accomplir eux aussi des progrès, à l’instar du système des Nations Unies pour le développement.

En outre, il est nécessaire de redoubler d’efforts pour rallier les États membres, le système des Nations Unies pour le développement, les partenaires et les partisans des ressources de base afin de constituer une force collective pour améliorer davantage la visibilité et la pertinence des résultats et de l’impact du système. Le système des Nations Unies pour le développement devrait consolider les positions conjointes et communes ainsi que les stratégies de plaidoyer et de communication pour montrer aux partenaires externes le véritable retour sur investissement dans l’impact qu’il a sur la vie des personnes et des pays dont il est au service.