Raconter pour changer des vies

7 novembre 2019

 

Autour de moi, les bâtiments ne sont plus que béton effrité et barres d’acier rouillées. Ce qui était autrefois une banque de six étages s’effondre maintenant sur le côté. Au sol, les gravas crissent sous mes pieds et de larges flaques d’eau stagnante attirent des nuées de moustiques.

Je suis dans la ville de Marawi aux Philippines. En 2017, des groupes affiliés à l’État Islamique (ISIS) ont attaqué la ville.

L'affrontement qui a suivi a duré 5 mois, le plus long conflit urbain de l’histoire moderne du pays. Je ne peux pas m’empêcher de me demander comment l’on peut se retourner contre ses voisins et détruire sa propre ville de cette façon.

En adhérant à l'État Islamique, nombre des rebelles qui avaient vécu et grandi à Marawi se sont laissés piéger par une idéologie née à des milliers de kilomètres de là, démontrant que des récits haineux, fondés sur une notion de différence fondamentale - de l'autre -, sont puissants et peuvent diviser les communautés au-delà des frontières physiques.

J’ai récemment découvert un podcast fantastique intitulé " Caliphate " (en anglais) publié par le New York Times. Il raconte l’histoire d’un combattant qui s'est radicalisé au Canada en regardant les vidéos d'Anwar al-Awlaki en ligne. Les plateformes de médias sociaux sont critiquées parce qu’elles n’éliminent pas les contenus nuisibles assez rapidement, mais pour moi, tenter de supprimer chaque contenu haineux est une perte de temps et d’énergie.

Pourquoi ne pas s'attaquer à la haine en changeant la façon dont nous agissons en ligne ? Pourquoi ne pas faire de l'espace en ligne une communauté inclusive, avec un contenu qui favorise la compréhension ? C’est ce qu’on appelle les "récits alternatifs ". Des projets tels que la série vidéo #ExtremeLives du PNUD utilisent cette approche en parlant directement aux membres des communautés touchées par l'extrémisme violent, en enregistrant ces interactions et en diffusant leurs histoires personnelles en ligne.

"Les histoires comptent", a déclaré la jeune militante Thinzar Shunlei Yi. (video en anglais)

Thinzar Shunlei Yi qui a grandi au Myanmar dans un camp militaire, se définissait comme « une extrémiste ». « Mais après le lycée, j'ai rencontré des gens d'horizons différents. J'ai entendu différentes histoires, et c'est ce qui a changé ma vie. Écouter des histoires m'a rendu plus modérée. »

Derrière les motivations haineuses se cachent des histoires personnelles complexes, non seulement de la part des auteurs de la violence, mais aussi de la part des communautés qu'ils touchent, de la part des experts qui tentent de les comprendre et de la part des gouvernements qui tentent de faire face aux conséquences de ces violences.

En enregistrant et en partageant ces histoires, nous  pouvons commencer à comprendre les mécanismes complexes de l'extrémisme violent dans différents contextes.

Moi aussi, j'ai changé d'avis récemment.

En venant à Marawi, je pensais ne voir qu'une ville à genoux. Mais ensuite, j'ai parlé à Natheera qui était chez son oncle le jour où le siège a commencé. Elle s'est cachée dans la maison toute la nuit avant de s'échapper avec sa jeune nièce pendant un court cessez-le-feu. Comme des milliers d'autres personnes déplacées par le siège, elle a passé des mois à se déplacer d'un endroit à l'autre et vit maintenant à Cagayan de Oro.

"J'ai passé toute ma vie à Marawi. La vie que j'avais dans cet endroit me manque. Ça me manque d'aller au marché. Nous avons tout perdu ", m'a-t-elle dit.

Natheera a su s’adapter à sa nouvelle vie et j'ai réalisé que si ISIS avait détruit sa maison, il n'avait pas détruit son histoire. En racontant son histoire, elle pourra montrer qu'il est possible de reconstruire sa vie après une atrocité.

"Nous refusons d'être des victimes. Au lieu de cela, nous choisissons d'être des ressources" dit Natheera.

#ExtremeLives est l'un des 120 projets présentés cette année au Forum pour la paix de Paris comme un exemple de solution concrète vers un avenir plus pacifique. La série vidéo revient pour une 2è saison en janvier 2020. Le projet est cofinancé par l'Union européenne.

Pour plus d'informations (en anglais) : http://asia-pacific.undp.org/extremelives